Epilogue (partie 2)

Contre-sujet – L’œuvre moderne

Trop souvent, nous entendons les souffrances de notre temps et il nous arrive même d’idéaliser le passé en soupirant : “Ah ! C’était tout de même mieux avant !” Sachons écouter les plus sages d’entre nous qui affirment leur reconnaissance de vivre aujourd’hui. Le pasteur Martin Luther King commençait ainsi sa prière lors d’un important rassemblement militant pour les droits de tous : « Nous te remercions Seigneur pour le privilège de vivre à cette époque, une époque qui présente de nombreux défis, une époque remplie de possibilités et de créations. »

Il est certain que notre époque et nos privilèges occidentaux offrent un champ de liberté à la création qui semble inédit, pour ceux qui savent s’en saisir. Nos conservatoires de musique, de danse et de théâtre ; nos écoles de musique municipales ou associatives ; les programmes d’enseignement et d’apprentissage… permettent à tous, dès le plus jeune âge, d’avoir accès aux outils permettant de développer la curiosité, l’imagination et la création. Il ne manquerait plus que des cours… d’audace ! C’est l’Evangile qui nous en donne constamment ; l’Église devrait en être, tous les jours, le lieu de transmission de ce don. Il semble néanmoins qu’elle ne le soit pas, dans tous les cas, pas prioritairement. Alors, l’audace de créer des œuvres nouvelles, de chercher la Beauté de la Création dans toute sa complexité, d’expérimenter le moyen de rendre l’être humain meilleur que lui-même ou de retrouver la sensibilité qui fait son humanité, c’est l’Art qui s’en saisit. Le peintre Bram Van Velde partageait avec humilité : “La peinture permet de simplement mieux connaître le monde […] pour dire l’impuissance, l’impossibilité d’être”. C’est l’art d’aujourd’hui, bien plus que l’Église contemporaine, qui se jette dans cette périlleuse aventure de se poser la Question. Quitte à se faire huer, quitte à se tromper. Il est évident que l’on ne peut critiquer que ceux qui font ; ceux qui ne font rien n’ont aucun mérite.

L’œuvre sans titre, Bram Van Velde

Il est vrai que l’œuvre d’art ose, parfois sans détour, mettre à jour le mal de l’esprit qui habite la pensée d’un homme. “Elle fait sortir l’esprit de lui-même et le place en face d’autrui pour lui montrer d’un doigt précis la voie sans issue où tous sont engagés” nous dit Albert Camus. “Sans issue” ? L’art n’a pas encore vraiment répondu à cette affirmation et continue à nous faire réfléchir. Il nous donne des pistes qui, parce qu’elles nous dérangent voire nous heurtent, nous font renoncer à raisonner par notre (primitive) logique et nous force à expérimenter notre (complexe) sensibilité. Dans son analyse de l’oeuvre d’art dans Le Mythe de Sisyphe, Albert Camus écrit : “L’oeuvre absurde illustre le renoncement de la pensée à ses prestiges et sa résignation à n’être plus que l’intelligence qui met en oeuvre les apparences et couvre d’images ce qui n’a pas de raison. Si le monde était clair, l’art ne serait pas.”

Sujet – Le Royaume de Dieu

Comme nous lors de cette analyse, Max Stirner, dans son ouvrage L’Unique et sa propriété, se pose la Question : « Qu’est-ce que l’Homme ? Qui est l’Homme ?” Sans détour, il répond immédiatement : “La question est sa propre réponse.” Il n’y a aucun doute que peu d’entre nous, au premier abord, n’oserait rapprocher le philosophe allemand à l’évangéliste Luc. Pourtant, l’égoïste hégélien aurait pu trouver sa réponse directement auprès du médecin-apôtre qui partage dans Luc 17:21 : « Sachez-le, le royaume de Dieu est au-dedans de vous.” Cette recherche si ardue d’une réponse à notre existence, c’est assurément celle d’un pays promis, où toutes nos questions deviendront inutiles tant leurs réponses sont évidentes, où mieux encore : nous n’aurons plus besoin de nous les poser. Ce royaume céleste, beaucoup l’attend, beaucoup l’espère en imaginant le Paradis, l’Eden qui nous a été privé à cause de l’orgueil. Certes, Jésus nous promet de revenir ; l’Apocalypse de Jean nous décrit, avec autant de précisions que de mystères, une fin des temps digne de toute l’Histoire de l’Univers. Nous attendons le retour de Christ et pourtant nous proclamons qu’Il est déjà en nous. Nous espérons un monde meilleur, voire idéalisé, alors que nos apôtres nous répètent : le Royaume de Dieu est déjà là, il est en nous ; Jésus est la Réponse qui nous habite ; nous sommes notre question et notre réponse.

Ce qui est certainement le plus triste, c’est que beaucoup trop de chrétiens attendent une utopie limitée par leur capacités humaines, manifestant une interprétation simpliste et erronée de la Parole. Je suis même très étonné que c’est Albert Camus, philosophe français non chrétiens et anticlérical, qui semble analyser au plus proche le message profondément spirituel de Christ : “Nietzsche et Marx avant lui remplacent tous deux l’au-delà par le plus tard. Ils trahissent l’enseignement de Jésus qui remplaçait l’au-delà par le tout de suite.” Posons-nous alors sérieusement cette question : nous chrétiens, voulons-nous suivre l’enseignement de Jésus, de Nietzsche ou de Marx ?

Là où l’on se trompe aisément, c’est dans l’attente d’un lieu dénué de tout besoin matériel. On imagine le Paradis comme un lieu sans souffrance, sans faim, sans solitude, sans argent. C’est se méprendre grandement. “Car le royaume de Dieu, c’est non pas le manger ni le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit.” (Romains 14:17). Dans un autre passage de la Bible, il est également écrit : “Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain car le lendemain s’inquiètera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine.” (Matthieu 6:33) Le Royaume de Dieu n’est pas demain. Le Royaume de Dieu n’est pas un grand banquet rempli des plus grands délices que l’on pourrait imaginer. Le Royaume de Dieu, c’est la justice, la paix et la joie. Le Royaume de Dieu c’est notre recherche constante de justice ; c’est notre combat incessant pour la paix ; c’est le partage tous les jours de notre joie et notre reconnaissance. C’est notre seul et unique devoir en tant que chrétien. Le pasteur Marc Deroeux, dans le Cahier de l’École pastorale n°117, partage avec force : “En tant que chrétiens, attachés au Christ, nous sommes ambassadeurs du Royaume de Dieu, à vivre hic et nunc, ici et maintenant.”

Ecoutons encore une fois l’analyse inspirée de Camus et de Nietzsche : “Il faut accepter le monde tel qu’il est, refuser d’ajouter à son malheur, mais consentir à souffrir personnellement du mal qu’il contient. Le royaume des cieux est immédiatement à notre portée. Il n’est qu’une disposition intérieure qui nous permet de mettre nos actes en rapport avec ces principes, et qui peut nous donner la béatitude immédiate. Voilà, selon Nietzsche, le message du Christ.”

Cadence

Lors de nos précédentes études, lors de nos deux actes, nous avons entendu plusieurs œuvres musicales du XXe siècle qui ont pu vous étonner, voire vous répugner. Elles ont pu vous faire peur ou faire croire à une expression violente des pires turpitudes de l’homme et/ou de la colère de Dieu face à la désobéissance à la Loi, à l’Harmonie qui régit notre univers…  Dans 1 Rois 19:11-12, Dieu n’était pas dans le tremblement de terre, ni le vent, ni le feu… Sont-ils mauvais pour autant ? Empêchent-ils d’accéder à Dieu, de Le trouver, en Son temps ? Au contraire, ils le précèdent.

Elles nous posent certainement plus de questions qu’elles ne répondent à notre Question. Néanmoins, espérons qu’elles donnent des pistes afin de, déjà comprendre la Question et ensuite parvenir à y répondre, en proposant de nouveaux champs de recherche, en dehors des cadres habituels et imposés, au-delà parfois de nos propres limites humaines.

Dans notre prologue, j’écrivais que parce que la question du « quoi », du « qui », du « où » et du « pourquoi » est universelle et intemporelle, son analyse ne peut qu’en être complexe. Peut-être parce que, paradoxalement, elle est trop simple : nous, êtres humains, sommes notre question, celle qui nous hante depuis toute éternité ; nous, êtres humains, sommes notre réponse parce que nous sommes les ambassadeur de la Réponse, cette force inimaginable qu’il nous faut écouter, en osant affronter nos silences. Cette lumière aussi puissante que silencieuse, il nous faut la crier, la partager, afin de toujours rayonner de justice, de paix et de joie.