In Paradisum

Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre. […] Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes ! Il habitera avec eux, et ils seront son peuple, et Dieu lui-même sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura ni deuil, ni cri, ni douleur.
Apocalypse 21

Bien que perdu, le chrétien espère retrouver l’Eden, le paradis perdu. C’est une promesse que lui fait à plusieurs reprise la Bible, notamment dans Esaïe 65, Luc 23 ou Apocalypse 21. Cette promesse d’une vie après la mort, et surtout d’un tout nouveau monde où tout ne serait que vie, joie et paix est évidemment une source d’inspiration pour les musiciens.

C’est d’abord lors du rite funéraire que cette question de l’au-delà se pose aux croyants, qui élèvent leurs prières par le chant à l’occasion de la messe des morts, le requiem. Ils s’adressent ainsi directement au défunt, lui accordant ainsi une existence toujours bien réelle. A l’instar des croyances païennes, telles celle des Grecs via le Styx ou celle les Egyptiens via le Nil, on souhaite que le voyage du défunt vers l’au-delà soit escorté afin d’y garantir son bon accueil. C’est, indirectement, aux anges que l’on prie de prendre soin du mort et de l’accueillir là où il trouvera le repos mérité.

In paradisum deducant te Angeli, in tuo adventu suscipiant te martyres, et perducant te in civitatem sanctam Jerusalem.
Chorus angelorum te suscipiat, et cum Lazaro quondam paupere æternam habeas requiem.

Que les anges te conduisent au paradis, que les martyrs t’accueillent à ton arrivée, et t’introduisent dans la Jérusalem du ciel.
Que les anges, en chœur, te reçoivent, et que tu jouisses du repos éternel avec celui qui fut jadis le pauvre Lazare.

In Paradisum extrait du recueil Liber Usualis par le Alfred Deller Consort.

Pour son Requiem, Gabriel Fauré composa un mouvement In Paradisum plein de grâce et d’une grande sérénité : alors que le texte est chanté par les voix innocentes d’un chœur d’enfants, parfois porté avec tendresse par les adultes, l’orgue fait perler avec régularité des accords aussi paisibles que réconfortants, comme un ciel étoilé derrière de fin nuages illustrés par les tenues des cordes. Ainsi élevée dans leur élément céleste, comment les anges pourraient-ils ne pas répondre à cette douce, sincère et sublime prière ?

In Paradisum, septième mouvement du Requiem de Gabriel Fauré, par le Chœur de la Cathédrale Ste Marie d’Edinbourg.

Le paradis, bien que Paul rappelle que « ce sont des choses que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, et qui ne sont point montrées au cœur de l’homme » (1 Corinthiens 2.9), semble donc être avant tout, pour l’imaginaire collectif occidental – chrétien ou non –, un lieu où, autour d’un trône illuminé par la gloire du Sauveur et Seigneur, règne une parfaite sérénité, un silence éternel qui offre la jouissance d’une beauté de paix indescriptible. C’est en tous cas l’avant-goût que propose le compositeur Charles Ives avec sa mise en musique du texte de John Greenleaf Whittier, Serenity. Elle semble être comme une réponse à notamment deux autres de ses songs : General Booth enter sinto Heaven, en hommage au fondateur de l’Armée du Salut, et Charlie Rutlage, en souvenir de ces jeunes cowboys dont la mort souvent prématurée permet de retrouver ses parents auprès du trône brillant de Grâce.

Serenity de Charles Ives par Carol Ambrogio Wood, accompagnée par James Biery.
General Booth enter sinto Heaven de Charles Ives par Thomas Hampson et le San Francisco Symphony Orchestra sous la direction de Michael Tilson Thomas.
Charlie Rutlage de Charles Ives par Donald Gramm, accompagné par Richard Cumming et avec une courte présentation par Aaron Copland.

Cette vision idéalisée de cette promesse, si on l’appelle avec la voix d’un enfant, comme pour la prière In Paradisum de Fauré, c’est surtout avec les yeux innocents, voire naïfs, et surtout fascinés d’un enfant que l’on veut la découvrir et même la vivre. Ces joies du paradis vues par un enfant, sans aucune autre pensée, c’est ce que l’on peut retrouver dans le recueil de chansons traditionnelles allemandes Des Knaben Wunderhorn: Alte deutsche Lieder (Le Cor merveilleux de l’enfant). Gustav Mahler s’en est amplement inspiré, reprenant l’un d’eux pour le 4ème mouvement de sa Symphonie n°4 : « Das himmlische Leben » (La Vie céleste), dont voici la première strophe :

Wir genießen die himmlischen Freuden, D’rum tun wir das Irdische meiden.
Kein weltlich’ Getümmel Hört man nicht im Himmel!
Lebt alles in sanftester Ruh’.
Wir führen ein englisches Leben, Sind dennoch ganz lustig daneben;
Wir tanzen und springen, Wir hüpfen und singen, Sanct Peter im Himmel sieht zu.

Nous goûtons les joies célestes, détournés des choses terrestres.
Du ciel on n’entend guère le tumulte du monde !
Tout vit dans la plus douce paix !
Nous menons une vie angélique !
Mais quelle n’est pas notre gaieté !
Nous dansons et bondissons, nous gambadons et chantons !
Et Saint Pierre, en ces lieux, nous regarde !

Symphonie n°4 – « Das himmlische Leben » par Aksel Rykkvin et l’Orchestre norvégien des jeunes sous la direction de Christian Eggen.

Cette vision angélique, portée par une voix tout aussi céleste, ne peut que séduire l’oreille et l’imagination. Néanmoins, la seule promesse qui puisse réconforter réellement le chrétien, c’est celle qui est partagée dans Luc 23.43 où Jésus dit à son compagnon d’infortune (qui pourrait bien être nous-même) : « Aujourd’hui, tu seras avec moi au paradis. » Alors le chrétien peut, à l’approche de la mort, répondre avec sérénité et confiance :

Je pars avec paix et joie selon la volonté de Dieu.
Mon cœur et mon esprit sont réconfortés, apaisés et calmes.
Comme Dieu me l’a promis la mort est devenue mon sommeil.

Choral « Mit Fried und Freud ich fahr dahin » harmonisé par Johannes Brahms, extrait de son motet Warum ist das ligt gegeben den Müseligen par le Chœur des étudiants de l’université d’Utrecht.
« Heute wirst du mit mir in Paradies sein » extrait de la cantate Actus Tragicus BWV 106 de Jean-Sébastien Bach par Edward Grint et Les Arts Florissants sous la direction de Paul Agnew.

Sans aucun doute Jean-Sébastien Bach peut nous éclairer quant à cette idée du Paradis, en résonnance notamment avec les textes de Matthieu 24 « Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges des cieux, pas même le Fils, mais seulement le Père, et lui seul » : « Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit » – Le temps de Dieu est le meilleur des temps. Cela nous fait penser à une précédente réflexion partagée dans l’épilogue d’une série à propos du Royaume de Dieu (à retrouver en cliquant ici) et où une partie de la conclusion dit ceci :

Là où l’on se trompe aisément, c’est dans l’attente d’un lieu dénué de tout besoin matériel. On imagine le Paradis comme un lieu sans souffrance, sans faim, sans solitude, sans argent. C’est se méprendre grandement. “Car le royaume de Dieu, c’est non pas le manger ni le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit.” (Romains 14:17).

Sans doute est-ce un nouvel encouragement à vivre avant tout ici et maintenant.

“En tant que chrétiens, attachés au Christ, nous sommes ambassadeurs du Royaume de Dieu, à vivre hic et nunc, ici et maintenant.”