Vaincre l’insensé

Jean Alexandre, pasteur retraité de l’EPUdF, ami de la Miss’ pop’, conteste que se préoccuper de la santé biologique soit nier la santé relationnelle…

On peut lire ces temps-ci certains théologiens ou philosophes qui mettent en garde contre une politique sanitaire qui, usant de moyens coercitifs, s’en tiendrait à préserver la santé physique, purement biologique, de la population, ce qui nierait en l’être humain la culture, la spiritualité, la relation. Je ne suis pas sur cette ligne.

Dans la vie quotidienne, quand on est malade, on reste chez soi, on ne va pas à l’église, au théâtre, au cinéma, au concert, au musée, au parc. On évite le contact des gens qu’on aime. Cela pour différentes raisons dont la plus spirituelle est qu’on ne veut pas risquer de contaminer son prochain. C’est pourquoi l’on ne conteste pas le droit de son médecin à imposer pour un temps certaines restrictions ou médications.

Bref, on ne se sent pas assujetti à un pouvoir purement matérialiste. On sait que ce n’est pas le médecin qui maltraite, mais la maladie. Guéri, on reprendra comme devant le cours de sa libre existence.

En revanche, nos théologiens ou philosophes me semblent mettre en cause, sans doute sans le savoir ni le vouloir, la spiritualité en acte de celles et ceux qui se tuent à tenter de soigner, protéger, renseigner.

Parlant de spiritualité en acte, j’ai en tête aussi bien celle des gouvernants ou des professeurs de médecine que des soignants, enseignants, aides à domicile, bref, tous ceux qui sont à la manœuvre et dont l’office quotidien me paraît lié à une spiritualité laïque qui est une des marques de notre pays.

Ne pas dénier la spiritualité du soin

S’agit-il de démoraliser ceux qui se battent ? Les gens meurent ou risquent de mourir, ils les soignent. Il y a de gros dégâts en tout genre car c’est la maladie qui commande, elle qui se moque de la crise qu’elle cause. Qui dit alors qu’ils prennent les mesures dont ils disposent en pensant que la vie est davantage biologique que sociale et relationnelle ? Cela me paraît une pétition de principe qui dénie la spiritualité de ces gens-là, elle qui accompagne leur lutte contre l’état de fait qu’est la pandémie.

Au nom de quoi, ce déni ? On fait face à l’urgence, c’est tout, pris à la gorge, usant des outils qu’on a, avec pour seule raison de voir tout le monde retrouver le plus vite possible la totale valeur de la vie.

Exemples : lorsqu’un soignant (de la femme de ménage de l’hôpital au professeur de médecine) accepte de prendre le risque de mourir pour sauver la vie des patients, en quoi peut-on dire qu’il ne prend en compte que leur vie biologique ? Curieux déni de sa spiritualité !

Lorsqu’une professeure des écoles, comme ma fille, passe des journées et des soirées de confinement à tenter de rattraper la brebis perdue, déconnectée du système scolaire, le fait-elle pour le programme ou pour la qualité de vie future de cet enfant ?

Lorsque les aides à domicile viennent deux fois par jour s’occuper d’une vieille dame impotente, elles le font seulement pour la tenir propre ? Non, elles sont plutôt, selon mon expérience, pleines d’attention et de bonté pour ce qui demeure de vivacité intellectuelle et relationnelle chez leur patiente.

C’est là que se place la spiritualité réelle des gens, dans ce qu’ils font de beau et de bon en dépit du malheur des temps. Parce que la vie est toujours, pour eux, bien plus riche que le seul aspect sanitaire.

Quel rôle de l’Etat ?

Eh bien, j’élargis cela à l’action de nos pouvoirs publics, hélas souvent mal préparés et maladroits il est vrai, mais désireux d’apprendre et de vaincre le virus, c’est-à-dire l’insensé, au sens propre, de la mort aveugle. Une action bien plus évangélique (Matthieu 25) que celle de certains pays connus pour leur intense spiritualité alliée à une absence totale de sens social.

Il est vrai que ce qui est en cause avec cette pandémie, c’est bien plus que la vie matérielle, mais il ne convient pas de se tromper d’ennemi : seul le virus en question est par nature inconscient de ce qui fait notre vie pleine et entière.

Ce que je craindrais pour ma part au cas où l’on ne mettrait pas tout en œuvre pour l’éradiquer, ce serait le permis de tuer concédé à qui passerait ici ou là. Or le rôle de l’État est de protéger du danger, en effet. On aurait un peu vite fait de passer sans frémir sur le danger de mort… des autres.

Car cette pandémie tue tout ce qui passe à sa portée, de façon inégalitaire, à moins qu’on ne l’arrête. Elle détruit aussi notre capacité à vivre pleinement. Elle ne s’éteint pas d’elle-même et peut devenir incontrôlable. D’où, par exemple, l’inquiétude de Jo Biden face à ce qui attend les États-Unis.

Il est angélique, d’autre part, ce déni des corps ! Comme si, contraints ou non par le réel, masqués ou non, ceux-ci n’étaient pas toujours culturels, spirituels, relationnels ! Derrière cela se tient ce bon vieux dualisme, lui aussi mortel, de la matière et de l’esprit.

Plus trivial, pour finir : le danger immédiat encouru par ces penseurs consiste, ce me semble, à affaiblir encore la confiance mise dans ceux qui sont aux manettes, et donner des raisons à la cohorte inquiétante des complotistes et autres démagogues.

Jean Alexandre, pasteur retraité de l’EPUdF, bibliste et poète. Retrouvez ses textes et ses ouvrage sur son blog : https://alexandre2.pagesperso-orange.fr/Index

Le dessin est extrait de https://www.unprintempsdeconfinement.fr/ de Pierre Hedrich, dessinateur pour Présence, journal de la Mission populaire évangélique.

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