De quel séparatisme parlons-nous ?

Christian Bouzy, pasteur du Foyer de la Duchère à Lyon (69), s’inquiète de la nouvelle loi « confortant les principes républicains ».

Dans la foulée de la loi sur la sécurité globale, va être présenté prochainement en conseil des ministres un projet de loi d’abord appelé « contre le séparatisme» puis rebaptisé « confortant les principes républicains ». Ce projet prévoit un certain nombre de dispositions contre les appels à la haine en ligne, la divulgation d’informations personnelles ou professionnelles sur autrui, et pour obliger les associations à signer une charte d’engagement à respecter les valeurs de la République et la laïcité, etc.

Ce projet suscite quelques interrogations. L’intention affichée de combattre la haine, la violence et le mépris des principes de la République ne cache-t-elle par une autre motivation moins louable qui consiste à vouloir élargir l’intervention répressive de l’Etat contre les manifestations de protestation citoyenne ? Est-il vraiment nécessaire de promulguer de nouvelles lois ? ne disposons-nous pas d’un arsenal législatif suffisant en la matière ? Les gouvernements successifs succombent vite à la tentation de proposer de nouvelles lois liberticides. Cette inflation législative et sécuritaire répond davantage à un souci électoraliste qu’à la volonté de promouvoir l’intérêt général.

La défense des valeurs de la République exigerait plutôt la mise en place de moyens opérationnels pour appliquer les lois existantes, notamment celles de 1905 relatives à la laïcité qui donnent un cadre suffisant pour notre « vivre ensemble ».

La liberté associative en danger

Prenons l’exemple de ce projet d‘article obligeant les associations à signer une charte d’engagement pour le respect et la promotion des valeurs de la République, même si nous n’en connaissons pas encore les contours et les conditions à l’heure où sont rédigées ces lignes. L’intention présentée ainsi est louable. Qui voudrait s’opposer à la défense de valeurs telles que la liberté, l’égalité la fraternité, la laïcité qui fondent notre démocratie ? Cependant, les nouveaux outils législatifs proposés au service de cette généreuse intention peuvent devenir aussi des outils qui limitent la liberté des associations et qui accroît le contrôle de la puissance publique sur toute initiative citoyenne. Par exemple, une fraternité de la Mission Populaire qui, à côté de ses actions d’accompagnement social, propose des temps de débat sur des sujets politiques ou des partages bibliques et spirituels, pourrait se voir sanctionner par la puissance publique. Celle-ci pourrait considérer que le cadre de laïcité n’est pas respecté et que donc les subventions publiques ne sont plus justifiées.

Souvenez-vous de l’intervention de la secrétaire d’Etat Sarah El-Hairy à une rencontre organisée par la Fédération des Centres sociaux à Poitiers. Une centaine de jeunes étaient réunis pour réfléchir ensemble à la place des religions dans la société et à la laïcité. Ils ont simplement exprimé leurs interrogations sur ce sujet sensible qui touche à leur histoire familiale et leur intimité. Au lieu de se mettre à leur écoute et d’accueillir ces jeunes avec leurs questions existentielles, Sarah El-Hairy n’a pas trouvé mieux que de leur infliger une leçon de morale avec des prescriptions sur la bonne attitude à adopter. Rendez-vous manqué, ont considéré les organisateurs de cette rencontre. Comble de ce dialogue de sourds, la secrétaire d’État a fait diligenté une enquête sur les pratiques des centres sociaux au regard de la laïcité.

Le séparatisme des riches

Dernière observation sur ce projet de loi. Le séparatisme n’est pas seulement là où on focalise notre regard. Comment qualifier en effet la situation des grandes fortunes mais aussi des 10% les plus riches de notre pays, dont une étude récente a montré qu’ils s’étaient encore enrichis ces derniers mois, tandis que les plus pauvres au contraire ont vu leur pouvoir d’achat diminuer un peu plus. Le creusement des inégalités entre riches et pauvres contribue en effet à séparer les uns des autres. Les premiers ne vivent plus dans le même monde que les derniers. Et cette inégalité qui prend des proportions scandaleuses est sans aucun doute un terreau propice au développement du repli identitaire et de la haine de l’autre.

Et si un projet de loi était déposé pour mieux lutter contre ces inégalités économiques et renforcer les solidarités ! cela contribuerait davantage à la cohésion sociale et au vivre ensemble. Hélas, ce n’est pas pour demain, si l’on peut en juger par les annonces de l’actuel gouvernement. Mais il est permis de rêver…

Christian Bouzy est équipier pasteur – directeur du Foyer de la Duchère à Lyon (69).

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