Considérer les étrangers, sortir du non-sens

Un homme au bout d'une jetée face à la mer avec une cage ouverte en avant plan

Stéphane Lavignotte, pasteur de la Maison Ouverte (Montreuil, 93) témoigne de l’inhumanité et du non-sens de la politique de l’immigration, vus depuis la permanence de la CIMADE qui s’y tient.

C. se demande si elle va continuer à assurer l’accueil du mardi matin à la Maison Ouverte. Pour la deuxième semaine d’ouverture de la permanence de la CIMADE en cette rentrée, cinquante-six personnes vont pouvoir être reçus par les huit bénévoles de la CIMADE dans la matinée. Mais autant ont dû repartir… Ils chercheront une autre permanence, reviendront la semaine prochaine prochaine ou la suivante.

Pour C., c’est trop difficile. Trop dur de voir des personnes être venues de loin, arrivées tôt et repartir sans solution. Pour celles et ceux qui ont pu rentrer l’accueil est chaleureux. Les bénévoles de la CIMADE prennent le temps nécessaire pour écouter les histoires, poser les bonnes questions, donner des réponses précises, sans créer d’illusion.

Souvent, la seule réponse est de rester en situation régulière pendant plusieurs années, en gardant des preuves de cette présence en espérant pour alors être régularisé… Pour ceux qui attendent de rencontrer les volontaires de la CIMADE, des bénévoles de la Maison Ouverte offrent du café, du thé, des gâteaux, mais aussi des paroles de discussions et une parole attentive.

Considérer

Au moins pendant ce temps d’attente et de rendez-vous, ils sont considérés. Considérés comme une personne. Une personne qui a de l’importance, qui est légitime à espérer une vie meilleure que dans le pays d’où l’on a fuit la misère, voir la guerre ou la torture. Être considérées, c’est ce que l’État – on n’ose pas dire La République – n’offre pas à ces personnes.

Ces dernières années, les préfectures avaient poussé ce déni très loin : pour n’importe quelle démarche – même un renouvellement assuré d’une carte de cinq ou dix ans – il fallait prendre un rendez-vous en ligne. Or, sur le site de la préfecture, impossible de les prendre : le nombre proposé en était tellement infime par rapport à la demande que cela revenait à ne jamais s’en voir offrir. Après des procédures devant les tribunaux administratifs – avec de multiples rebondissements – et de manifs, les associations ont obtenu que les dossiers puissent être directement déposés en ligne, sans passer par des rendez-vous. Bien sûr, cela entraîne du travail supplémentaire pour des bénévoles dont on a vu combien ils étaient débordés.

Aucun sens

On ne voit pas bien le sens qu’a cette politique qui ne considère pas les humains. Elle est inhumaine. Pour éviter l’appel d’air ? Mais si c’était le cas, depuis le temps que le régime des étrangers se durcit en Europe, année après année, le flux de migration devrait baisser ? Non, il augmente. Car les personnes ont de vraies raisons de partir. Pour éviter la montée de l’extrême droite ? Au contraire, plus on s’en est pris aux étrangers, plus on a légitimé son discours et elle est montée.

Le dernier exemple en est la Suède où la sanction de la politique anti-immigrée des sociaux-démocrates au pouvoir a été un score sans précédent de l’extrême-droite qui va rejoindre la coalition de droite qui va remplacer la gauche au gouvernement.

Cela a d’autant moins de sens que beaucoup de ces personnes travaillent – dans les restaurants, dans le bâtiment, etc. – où pourraient travailler : « Ils vont me régulariser, je suis aide soignante, il y en a besoin, non ? » disait pleine d’un espoir bientôt déçu une dame tunisienne tout juste arrivée.

C. arrivera-t-elle à tenir ? Ce petit moment, même pour ceux avec qui on a pris le temps de parler un par un avant qu’ils repartent, est un des rares où des personnes les accueillent comme des vraies personnes dans un pays où l’État ajoute l’absurdité à l’inhumanité.

Alors, ça vaut le coup, non ?

Stéphane Lavignotte est pasteur et coordinateur de la Maison Ouverte de Montreuil, 93.