Adam et Ève ont deux fils. L’aîné, Caïn, est cultivateur. Le cadet, Abel, est berger. La tension entre les nomades et les sédentaires est une distinction fondamentale dans l’antiquité.
Les frères offrent un sacrifice à Dieu, Abel offre les premiers-nés de son bétail et Caïn du fruit de la terre. Le sacrifice d’Abel est accepté, mais pas celui de son frère qui est très fâché. Dieu lui dit : « Si tu agis bien, ne relèveras-tu pas la tête ? Mais si tu n’agis pas bien, le péché est tapi à ta porte, et son désir se porte vers toi ; à toi de le dominer ![1] » Caïn est incapable de dominer le monstre qui est tapi en lui et il tue son frère. Nous ferons quatre remarques.
Caïn n’est pas fâché parce que son sacrifice n’a pas été accepté, mais parce qu’il ne l’a pas été alors que celui de son frère l’a été. La Bible pose la jalousie au fondement de la violence.
Le verset qui raconte le meurtre dit mot à mot : « Caïn dit à Abel, son frère… et quand ils sont au champ, Caïn se lève contre Abel, son frère, et le tue[2]. » Caïn dit à Abel… le verbe appelle un complément qui manque. Les sages en ont déduit que Caïn n’avait rien dit, les frères ont été incapables de se parler, de mettre des mots sur leur différend.
Devenu meurtrier, Caïn est obligé de fuir. « Caïn eut des relations avec sa femme ; elle fut enceinte et mit au monde Hénoch. Il se mit ensuite à bâtir une ville et appela cette ville du nom d’Hénoch, son fils. » Dans son errance, Caïn bâtit une ville ! La ville comme lieu où l’humain fuit le face à face avec son créateur.
Ce texte a un parallèle saisissant dans la mythologie. Remus et Romulus sont frères, le second tue le premier avant de construire une ville à laquelle il donne son nom . Une différence de taille, alors que Romulus reste l’ancêtre célébré de Rome, Caïn est considéré comme un vulgaire meurtrier. Dans la Bible, la fin ne justifie pas les moyens et Dieu ne cesse de poser la question à chacun : « Qu’as-tu fait de ton frère[3] ? »
[1] Gn 4.7.
[2] Gn 4.8.
[3] Gn 4.10.