L’auteur
Hichem Djaït est issu d’une famille de l’aristocratie tunisienne, dont plusieurs membres ont occupé des postes politiques et religieux importants. Lui-même a effectué des études d’histoire et s’est spécialisé dans l’histoire de l’islam.
I. L’époque fondatrice
L’auteur commence par un rappel du contexte dans lequel Muhammad débute sa prédication. La ville de La Mecque est dominée par le clan dont il est issu, mais, au sein de ce clan, par une branche cousine. Après avoir été chassé de la ville, il finit par la conquérir en 629, deux ans après avoir conclu une trêve qui devait initialement durer dix ans. Au fur et à mesure que son pouvoir se renforce, Muhammad effectue un retour massif vers la patrie et les liens du sang, ce qui lui permet de doter l’islam de conditions politiques favorisant un succès en ce monde. Cette même année (629), il lance une expédition de 3000 hommes vers Mu’ta qui se solde par un échec.
À sa mort, Abu Bakr lui succède. Celui-ci a eu deux actions principales. Premièrement, il a dû réprimer l’apostasie et imposer de manière définitive, et par la force, l’islam à toute l’Arabie. Deuxièmement, il a entamé l’action de conquête. Pour les tribus arabes, l’apostasie consistait dans le refus de payer la sadaqa ou zakat (impôt). Il semble que cette dissidence ait surtout été le fait des masses plutôt que des élites. Par ailleurs, il y a aussi une série d’apparitions d’autres prophètes : Tulayha (Asad), Sajah (Tamim), al-Aswad al-Ansi (Yémen), Dhu-l-Taj (Uman) et Musaylima (Hanifa). Ces guerres permettent de faire un butin important. Beaucoup de femmes connaissent l’esclavage et sont emmenées en captivité.
Lorsque les musulmans se lancent à la conquête d’autres régions, le but, au départ, n’était pas de convertir les autres peuples, mais simplement d’instaurer l’autorité de Dieu par la domination de l’islam. Les sources insistent sur les causes économiques des conquêtes. Les Arabes devaient préserver leur identité et se concentrer sur le jihad illimité, tandis que les peuples vaincus devaient subvenir aux besoins des Arabes (impôts : kharaj sur la terre et jizya sur les têtes), même si parfois les Arabes participaient à l’occupation de la terre. Les succès sont rapides puisque les musulmans contrôlent l’ensemble de la Syrie-Palestine en 3 ans et que l’empire perse s’effondre complètement.
II. La fitna comme crise et la déchirure du meurtre
À Abu Bakr avait succédé, Umar qui est assassiné en 644, après avoir accompli de nombreuses conquêtes. Procédure de shura (consultation, qui est en fait une élection), pour choisir son successeur. Six hommes doivent élire parmi eux le futur commandeur des croyants : Ali ibn Talib, Uthman ibn Affan, Abdarrahman ibn Awf, Sa’d ibn Abi Waqqas, al-Zubayr ibn al-Awwam et Talha ibn Ubayd-Allah. En cas d’égalité, c’est le groupe où se situe Abdarrahman qui l’emporte. C’est Uthman qui est désigné.
La tradition divise le règne d’Uthman en deux parties de six ans chacune : la première période, calme, tranquille et satisfaisante ; la seconde, troublée et tendue, au point d’aboutir à son meurtre. Uthman est très riche, mais les deux Compagnons les plus riches sont Talha et surtout Al-Zubayr.
Uthman a nommé comme gouverneur al-Walid que le Coran qualifiait pourtant de fasiq (être immoral et sans parole crédible). Al-Walid buvait, il fréquentait un poète et aimait les jeux des magiciens. Uthman commence à puiser dans la caisse commune pour ses besoins personnels et ses dons. Des musulmans l’accusent d’avoir rompu avec la Tradition du prophète et des deux premiers califes, d’avoir brisé la loi implicite de l’islam. C’est l’islam qui se dresse contre Uthman, puisque pour s’opposer à lui ses adversaires se réfèrent à l’ordre islamique instauré par Umar. Le règne de ce dernier est alors perçu comme l’âge d’or de l’islam.
Au départ, à l’exception peut-être d’Abdarrahman, les Grands Compagnons se montrent discrets vis-à-vis des abus d’Uthman. Les premiers qui commencent à exprimer des critiques sont Abu Dharr al-Ghifari, Abdallah ibn Masud et Ammar ibn Yasir. Le premier a probablement été exilé, tandis que les deux autres ont été châtiés pour avoir osé contrarier Uthman en public ou colporter contre lui des accusations. Le châtiment des compagnons constitua un grief supplémentaire contre Uthman. Par ailleurs, certains reprochaient à Uthman d’avoir voulu effacer le Livre (le Coran), car il existait d’autres recueils qu’Uthman fait détruire. On connaît, au moins de nom, ceux d’Abu Musa et d’Ibn Masud.
C’est alors que trois contingents, de 600 hommes maximum par contingent, venus d’Égypte, de Kufa et de Basra, décident d’une marche concertée sur Médine. Le but initial n’était pas de tuer Uthman, ni même de le destituer, mais simplement de lui présenter des doléances. Un premier accord est conclu et les contingents rentrent chez eux, mais Uthman paraît ensuite renier ses engagements, ce qui cause la véritable fracture. Après avoir accepté ce qui avait été proposé, Uthman a envoyé un ordre écrit pour châtier les meneurs. Les contingents rebroussent alors chemin et assiègent sa maison. Ce retournement éloigne Uthman des autres Compagnons qui ne vont plus chercher réellement à le protéger. Le siège de la maison d’Uthman dure quarante jours. Ce sont trois ou quatre chefs égyptiens, et peut-être un kufiote, qui lancent finalement l’assaut décisif et tuent Uthman.
III. La fitna déchaînée : le temps de la guerre
Mais la mort d’Uthman ne met pas fin aux conflits qui, au contraire, continuent et même s’accentuent. Les hommes des provinces, à l’exception de Mu’awiya et des Syriens, donnent leur allégeance (bay’a) à Ali, mais la majorité des Compagnons va refuser cette bay’a.
La bataille du Chameau
C’est l’action d’Aïcha, depuis La Mecque, avec le ralliement de Talha et Zubayr qui enclenche le processus de Fitna (guerre civile). En tant que musulmane, Aïcha demande réparation pour le sang d’Uthman. Talha et Zubayr avaient pourtant donné leur allégeance à Ali, mais ils vont rompre leur parole. Selon eux, cette allégeance n’était pas valide, car elle a été extorquée par la force. Mais Ali lui-même avait dû prêter allégeance à Uthman par contrainte. Pour venger Uthman, on massacre 600 « assassins ».
Ali doit mettre Kufa de son côté, car ses adversaires se sont emparés de Basra. Ali apprend qu’Aïcha, Talha et Zubayr se dirigent vers l’Irak. Il quitte Médine à la hâte pour les intercepter. Les deux groupes livrent finalement une bataille connue sous le nom de bataille du Chameau, en référence au chameau sur lequel était monté Aïcha. Au cours de cette bataille, qui voit la victoire d’Ali, Talha et Zubayr sont tués.
La bataille de Siffin
Après le Chameau, bataille de Siffin entre Ali et Muawiya. Ali avait tué à Badr, une bataille menée à l’époque de Muhammad entre les musulmans et les Mecquois païens, le frère et le grand-père de Mu’awiya, qui combattaient du côté des Mecquois païens.
Muawiya, qui gouvernait la Syrie, s’était mis en dissidence avec Ali avant la bataille du Chameau. Dans sa lettre à Ali, il ne le reconnaît pas comme calife. Pour les Syriens, Ali était devenu l’homme des Irakiens. Ils vivaient un islam guerrier, pur œuvre de Muawiya, coupé de ses racines historiques et puissamment mobilisateur.
Après trois mois de face à face, on se décide pour une bataille violente. Au début du mois de Safar commence une étrange bataille. Au début, celle-ci ressemble plus à un tournois de contingents. Des groupes de chaque armée s’affrontent successivement. Puis, Ali ordonne la mobilisation générale qui aboutit à une mêlée très violente. De nombreux compagnons ou proches de compagnons sont tués. Finalement, Muawiya brandit le Coran et en appel à son jugement pour mettre fin à la bataille.
IV. Pacifisme et intransigeance
Certains combattants d’Ali refusent l’arbitrage et estiment que seul Dieu peut trancher. Les muhakhima ne s’appellent pas encore khawarij, car il y a eu une scission dans le cœur, mais pas encore de sécession officielle. Malgré cela, on choisit deux arbitres : Amr b. al-As pour les Syriens et Abu Musa Al-Ashari pour les Irakiens. Le mouvement kharijite, sous sa forme définitive, est né de la deuxième décision d’Ali d’opter pour l’arbitrage et de prendre les mesures nécessaires à sa réalisation. Ali va être obligé de massacrer ses anciens partisans à la bataille de Nahrawan.
L’arbitrage tourne au net désavantage d’Ali. En effet, Abu Musa, qui doit théoriquement défendre les intérêts d’Ali, propose en fait un troisième candidat, tandis qu’Amr revient à Muawiya. Les deux arbitres s’injurient et la réunion-débat se termine dans la confusion. Abu Musa s’enfuit ensuite vers La Mecque car il est conscient que son attitude a disqualifié Ali.
V. La lutte pour le pouvoir
La bataille de Nahrawan, où Ali a dû massacrer ses anciens partisans, constitue un tournant décisif dans l’évolution de la fitna. Muawiya et Amr b. al-As s’emparent de l’Égypte en juillet 658. Muawiya fait empoisonner un chef adverse à son arrivée au Qulzum (Suez). Muhammad b. Abi Bakr résiste et écrit à Ali que ses partisans montrent des signes de défaitisme et de tiédeur. Ali l’encourage à compter sur ses propres forces et à recourir à l’aide de Kinana b. Bishr, le leader du noyau dur et l’assassin d’Uthman, mais celui-ci est tué lors de la bataille de Musannat. Muhammad b. Abi Bakr est tué à son tour et sa sœur Aïcha en conçut une vive douleur.
Ali a perdu l’Égypte, mais il règne encore sur un immense domaine : l’Arabie, l’Irak et l’Iran. Il doit cependant faire face à plusieurs menaces. Première menace, la révolte d’al-Khirrit b. Rashid. Durant cette révolte, des chrétiens arabes convertis à l’islam soulignent que leur ancienne religion était meilleure car il n’y avait pas tous ce sang versé et décident donc d’y retourner. Deuxième menace, Muawiya tente une subversion à Basra. Enfin, troisième menace, Muawiya envoie à La Mecque un homme pieux, Ibn Shajara, pour conduire le pèlerinage. C’est un raid sur un bien spirituel.
La fitna se termine avec l’assassinat d’Ali en janvier 661. Muawiya s’était déjà proclamé calife avant la mort d’Ali. L’assassin, Ibn Muljam, se rattache vraisemblablement au mouvement kharijite, même si les kharijites postérieurs omettent de revendiquer ce meurtre et l’attribuent au seul Ibn Muljam.
Le fils aîné d’Ali, Hasan, reprend la lutte mais ne veut pas aller jusqu’au bout et trouve finalement un accord avec Muawiya, six mois après la mort d’Ali. Il meurt dix ans plus tard, probablement empoisonné.
Bibliographie
Djaït, H. (1989). La Grande Discorde. Religion et politique dans l’Islam des origines. Paris : Gallimard.