Face à la recrudescence des révélations de violences sexistes et sexuelles dans le protestantisme, et plus largement dans les milieux sociaux et associatifs, Stéphane Lavignotte questionne les pratiques et les responsabilités des institutions religieuses et des organisations sociales. Entre témoignages personnels et réflexions éthiques, il interroge les mécanismes de pouvoir et les fragilités humaines qui exposent à de tels abus.
Le protestantisme n’est donc pas épargné par les violences sexistes et sexuelles[1]. Des étudiant.e.s de la faculté de Strasbourg lancent un appel[2] – alors que Michaël Langlois[3], professeur de Nouveau testament fait l’objet d’une procédure disciplinaire interne à l’enseignement supérieur et d’une plainte devant la justice notamment pour viol – à des mesures de préservation (un cours alternatif au sien) et de préventions. Une grande figure de la théologie française, Jean Ansaldi, professeur à l’Institut protestante de théologie de 1977 à 1997, est mise en cause pour des faits d’agressions sexuelles par trois personnes profitant de sa position d’accompagnant spirituel dans une communauté des Cévennes. L’EPUdF a adhéré à la Commission reconnaissance et réparation[4] mise en place par l’Église catholique après que mon frère l’ait saisie pour des violences sexuelles subies dans le cadre d’une académie d’orgue dans les Vosges. Une figure médiatique suisse de l’étude du Nouveau testament ancien professeur à la faculté de théologie de Lausanne[5] – interrogée par exemple pendant les fêtes de Noël par Le Monde et 1 l’hebdo et invité cette fin janvier pour des conférences payantes par son éditeur français – est mise en cause pour une agression sexuelles (et sans doute des agressions en série) dans une série d’articles en Suisse. En octobre les profs de l’Institut protestant de théologie annonçaient : se disant « conscients que la fonction de professeur dans un institut de théologie les place dans une position particulière, les enseignantes et enseignants de l’IPT entreprennent dès maintenant un travail déontologique approfondi sur les conditions et les risques de l’exercice de leur ministère ». Ils sont interpellés par les signataires de l’appel des étudiant.e.s strasbourgeois, dont des étudiants et des anciens étudiants de l’IPT pour mettre en place rapidement des mesures de préservation et de prévention.
Des questions
Toute une série de questions se posent : comment le protestantisme aurait-il pu se croire épargné – il est dans la société, le patriarcat y impose aussi son influence catastrophique – et pourquoi n’a-t-il jusque-là rien mis en place pour prévenir les violences sexuelles et sexistes (VSS) ? Y-a-t-il une raison spéciale à ce que ces affaires éclatent dans l’enseignement ? Le fait que ce soient des disciples de Jean Ansaldi qui s’opposèrent (livre L’agitation et le rire, 1989) à l’engagement du protestantisme contre le viol de la nature et à l’égalité des droits pour les personnes LGBT dans l’église, fait-il système dans une logique hétéro-patriarcale où le mâle est tout puissant, comme le pointent avec justesse les éco-féministes ?
Et dans le social ? Les révélations incessantes sur l’Abbé Pierre montrent que dans l’aide aux plus fragiles, les risques d’abus sont grands. J’ai croisé plus ou moins directement trois situations. Une école alternative (L’école en bateau) où l’animateur abusait des jeunes dont il avait la charge. Un prêtre médiatique qui s’occupait et profitait des enfants des rues en Afrique. Un militant de la défense des sans-logis (ce n’était pas le DAL) qui profitait de la dépendance à son égard de jeunes à la rue. Dans les deux premiers cas, la justice est entrée en action. Dans le troisième, le milieu militant l’a ostracisé et il n’a plus été en situation de nuire. Je n’ai jamais connu aucune situation un tant soit peu problématique dans la Mission populaire évangélique. Mais combien de cas que je n’ai pas vus ?
Fragilité des métiers et des humains
Dans nos métiers, nous sommes sans arrêt en situation de déséquilibre de pouvoir avec les personnes que nous aidons. Nous rencontrons des personnes fragiles qui peuvent être demandeuses d’amour, d’amitié, de tendresse. Parce que nous refusons une posture « professionnelle » qui se traduirait par une distance inhumaine, nous parlons de nous, ils nous parlent d’eux. Nous pouvons prendre les personnes dans nos bras pour consoler et réconforter. Dans chacune de ses situations, j’ai eu en tête de ne pas créer d’ambiguïté, de demander avant de faire tout geste entraînant un contact corporel comme un « hug ». Je me suis toujours refusé à faire venir chez moi une personne aidée. Il y a toujours eu pour moi un interdit à toute relation sentimentale ou sexuelle avec les personnes aidées ou même supérieures ou égales avec qui je travaillais. Je trouve saugrenu de devoir l’écrire tellement cela me semble une évidence, et pas seulement parce que je suis marié et classiquement monogame. Mais non, ce n’est pas évident pour tout le monde, puisque des affaires éclatent.
Règle et déontologie comme des appuis
Mais cette prudence peut-elle seulement reposer sur le sur-moi et l’éthique personnelle des personnes ? Il y a parfois besoin d’être étayé, d’être renforcé, de pouvoir s’appuyer sur des règles claires, des règlements, des codes déontologiques. Car nous sommes toutes et tous des humains fragiles et comme le dit l’apôtre Paul en Romains 7,19 : « Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas ». La loi aide à être vertueux, c’est une des grandes leçons du calvinisme, qui parlait d’une sainteté, résultat de l’action de la foi dans la personne mais aussi chemin d’amélioration permanent. Appuyé sur la loi comme un bâton de marche.
Il y a donc un nouveau chantier, pour la Mission populaire évangélique comme pour la Fédération de l’entraide protestante et toutes ses associations fédérées, qui n’en manquent pas. Pour prévenir et que la Fraternité soit toujours une force d’émancipation et jamais détournée en force de destruction de mon frère et de ma sœur humaine.
[1]https://www.mediapart.fr/journal/france/060125/metoo-les-protestants-de-france-font-leur-examen-de-conscience
[2]L’appel peut être signé en soutien : https://framaforms.org/appel-aux-institutions-protestantes-1734510346
[3]https://www.rue89strasbourg.com/professeur-faculte-theologie-viol-harcelement-etudiantes-256275
[4] https://www.reconnaissancereparation.org/
[5]https://www.letemps.ch/suisse/vaud/autour-d-un-abus-sexuel-presume-l-intrigante-transaction-entre-l-etat-de-vaud-et-l-eglise-reformee