Une journée presque ordinaire…

Photo de Mathias P.R. Reding provenant de Pexels

Est-ce possible de ne pas baisser les bras entre l’actualité, la guerre en Ukraine et dans le reste du monde, et les difficultés du quotidien qui nous rattrapent ?

Ce matin, le réveil a sonné comme d’habitude. Le père s’est levé, a réveillé les enfants – c’est les vacances scolaires mais lui travaille ; tout à l’heure, il déposera les deux grands au centre de loisirs et le petit à la crèche, bref, c’est une journée ordinaire.

En préparant le petit-déjeuner, il écoute la radio et là, il suspend son geste, dépose avec précaution une tasse sur la table et reste un moment sidéré. C’est la guerre. En Ukraine. La guerre il en entend parler bien sûr, dans d’autres pays, sur d’autres continents, loin. Il se sent parfois concerné, d’autres fois il s’en fout… Les jours où il ne sait plus comment il paiera le loyer et des chaussures au petit dernier, ces jours là il s’en fout. Aujourd’hui, il a la sensation que c’est un peu différent, peut-être plus près, plus concret ou peut-être qu’il se sentait malgré tout à l’abri dans ce cocon européen vaguement démocratique. 

Les enfants descendent l’escalier en hurlant, comme d’habitude et s’installent à table. La radio est restée allumée… La cuillère de l’aîné, tout à coup, s’arrête brutalement à 2 cm de sa bouche, ses yeux s’arrondissent, il regarde son frère et dit : 

– «  C’est la guerre ! »

Le cadet le toise en riant et lui répond : « Comme d’habitude, patate, c’est la guerre contre le covid ! 

– Non, cette fois c’est la vraie guerre ! 

– Où ça ? En Afrique ? 

– Non pas loin … 

– La guerre entre qui et qui ?

– Ben entre les Russes et les Ukrainiens ; tu vois les Ukrainiens sont sous les bombes, ils vont être obligés de partir de leur pays.

– Oh d’accord mais c’est pas ici ! 

– Juste à côté idiot !

– Alors pourquoi on les arrête pas ? Pourquoi notre président, il leur dit pas d’arrêter ? 

– Ben celui qui a attaqué le premier, il a du gaz et nous, on en a besoin… 

– Pour quoi faire ? 

– Se chauffer tiens !! 

– Ben on a qu’à mettre des pulls ! Et puis si tu dis que les Ukrainiens, ils sont obligés de partir de leur pays, on peut les prendre chez nous, ça nous donnera chaud si on est plus nombreux dans la maison…

Il rigole. Petit bonhomme solidaire qui trouve des solutions si simples… Le père lui, songe aux candidats à l’élection présidentielle, à tous ceux qui, la bave aux lèvres vont chercher la petite phrase bien sentie et pleine d’empathie qui va leur faire gagner quelques voix. Dans la rue, une voiture passe, autoradio à fond.. Il capte au vol quelques bribes de chanson… Une chanson d’Higelin « Pourra t’on un jour vivre sur la terre, sans colère, sans mépris, sans chercher ailleurs qu’au fond de son cœur la réponse au mystère de la vie… ». 

Le père il pense à sa vie … à ce qui va changer avec ce conflit… Il pense aussi aux Ukrainiens, aux enfants qui vont devoir apprendre à vivre – ou à mourir – avec ça. Il se dit que c’est trop bête, qu’on ne peut pas laisser le pouvoir aux mains de ces gens avides et sanguinaires, sans foi ni loi, sauf celles de l’argent et du pouvoir. Le bébé, sur sa chaise haute, piaille et tape allègrement dans son assiette de céréales. Le père, son cœur se serre, il pense à tous ces bébés ukrainiens sur les routes de l’exil. Et la chanson d’Higelin lui trotte toujours dans la tête « Dans le ventre de l’univers, des milliards d’étoiles naissent et meurent à chaque instant où l’homme apprend la guerre à ses enfants » … Il voudrait faire quelque chose… Mais quoi ? Quelque chose pour anéantir la détresse qu’il lit dans les yeux de son aîné, quelque chose pour changer le sort de ces enfants ukrainiens… Faire quelque chose. Et la chanson revient en boucle « J’suis trop petit pour me prendre au sérieux, trop sérieux pour faire le jeu des grands, assez grand pour affronter la vie, trop petit pour être malheureux ».

Et puis il pense aussi à tous ceux que l’on va oublier, à ces conflits lointains qui vont être éclipsés par cette guerre si proche. Ethiopie, Palestine, Birmanie, Yémen, Afghanistan… Il y aura bien sûr deux poids deux mesures ! Lui, il connaît bien le « deux poids deux mesures » : les actionnaires, trop riches, auxquels on continue de faire des cadeaux et lui, trop pauvre, qui dépense l’argent qu’il n’a pas pour nourrir sa famille. Comme tant d’autres, il finira en commission de surendettement pendant que les actionnaires de chez Total engrangeront des sommes faramineuses dans les paradis fiscaux… « Pourra t’on un jour vivre sur la terre, sans colère, sans mépris, sans chercher ailleurs qu’au fond de son cœur la réponse au mystère de la vie » ? 

Valérie Rodriguez est équipière-directrice de la Miss’ Pop’ de Trappes (78), Fraternité de la Mission populaire évangélique.

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