Qui est mon ennemi ?

Dans cet article, Valérie Rodríguez, secrétaire générale de la Mission Populaire, interroge la place que nous faisons à celles et ceux qui ne pensent pas comme nous. Face à la polarisation de nos sociétés, elle revient à un appel évangélique : aimer ses ennemis. Comment sortir de l’entre-soi, écouter vraiment l’autre et ouvrir un dialogue avec celles et ceux dont les idées nous heurtent ?

J’écoutais, l’autre jour à la radio, un reportage sur les réactions de Donald Trump après l’assassinat de Charlie Kirk ; il disait que contrairement à son ami Charlie Kirk, lui ne pardonnait pas à ses ennemis et ne parvenait pas à les aimer. Que même il les détestait et ne voulait pas leur bien. Je ne sais pas si, réellement, Charlie Kirk aimait ses ennemis… Mais cette phrase du président des États-Unis m’a profondément heurté. Il désigne très clairement ses ennemis et les combat de toutes ses forces, avec violence, obstination, férocité et mauvaise foi. Quand je regarde le monde et la société autour de moi, je vois partout cette violence, cette « polarisation » forte où les uns ont besoin d’avoir raison contre les autres.

Le confort de l’entre-soi : se protéger ou s’enfermer ?

J’ai la sensation que, pour beaucoup d’entre nous, moi la première sans doute, l’ennemi est celui qui ne pense pas comme moi, celui qui « vote mal, qui pense mal ». Nous pratiquons de plus en plus « l’entre-soi » et ne débattons plus qu’avec celles et ceux qui partagent nos opinions, notamment politiques. J’entends beaucoup autour de moi « ça ne sert à rien de discuter avec eux, ils ne changeront pas d’avis » ; alors nous restons dans ce confortable « entre-soi » où nous nous sentons supérieurs, où l’autre est regardé avec condescendance dans le meilleur des cas, mépris dans le pire des cas. Nous parlons de nos luttes, notre militance, nos résistances comme si nous étions des héros et nous n’écoutons plus la parole de l’autre parce que nous considérons qu’elle est inaudible.

L’appel de l’Évangile : aimer ses ennemis

Pourtant quand je relis le Nouveau Testament, je suis toujours intensément percutée par ces versets dans l’évangile de Matthieu : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir ? Les collecteurs d’impôts eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens n’en font-ils pas autant ? ».

Écouter l’autre sans trahir ses convictions

Ces versets sont une définition précise de cet « entre-soi » que nous pratiquons avec brio pour éviter de nous « commettre » avec ceux qui pensent mal, votent mal. Nous finissons par haïr les hommes et les femmes qui sont différents, pensent différemment, vivent d’autres réalités. Alors parler avec l’autre, l’écouter vraiment, qu’est-ce que cela veut dire et qu’est-ce que cela pourrait changer ? Que je vais « vendre mon âme au diable », trahir mes idéaux, changer d’avis ? Non, bien sûr … Cela veut juste dire que c’est facile pour moi de soutenir et d’aimer les personnes qui me ressemblent, qui partagent mes valeurs et mes idéaux, qui « votent comme moi », c’est beaucoup plus difficile d’aimer celles et ceux qui véhiculent des idées et des pensées qui me font horreur. Pourtant il me semble qu’il y a là une nécessité… Et, si globalement nombre d’entre nous sont capables de faire cet effort d’écoute, de débat, d’échanges d’idée et de conceptions du monde avec des personnes qui ne partagent pas notre religion, sommes-nous encore capables de cela avec des personnes qui ne partagent pas nos opinions politiques ? Sommes-nous encore capables de les aimer, à défaut, bien sûr, d’aimer leurs idées ?