Quand on a que l’amour

Et si, malgré les moyens qui s’amenuisent, l’amour restait notre plus belle ressource ? Dans cet article, Laurent Piolet revient sur les difficultés matérielles que connaissent les associations. Mais il nous rappelle surtout, avec tendresse et humour, que derrière chaque panne d’imprimante, chaque scanner en rade ou chaque dossier bricolé, il y a souvent… un geste d’attention, un éclat de rire, un peu d’amour.

Le dernier numéro de notre revue Présence a porté sur la réduction des moyens associatifs que nous connaissons tous. Le réseau « Alerte » des associations actrices du secteur social a organisé un rassemblement le 11 octobre à Paris pour donner une visibilité au péril financier qui guette le secteur associatif. Cette pression sur les pouvoirs publics est importante. Il y va de notre cohésion sociale et de notre capacité à vivre ensemble en intégrant aussi les plus vulnérables.

Mais en repensant à ce dossier, me sont revenues en tête quelques paroles du grand Jacques[1] que je vénère depuis si longtemps. Le génie est rare, faisons-le vivre encore le plus possible. Dans nos actions de la Miss Pop, tout le monde a expérimenté la photocopieuse qui ne marche pas, l’agrafeuse foutue ou sans agrafes, l’ordinateur qui plante, le coup de peinture qui manque. Mais au fond :

« Quand on n’a que l’amour
Pour meubler de merveilles
Et couvrir de soleil
La laideur des faubourgs

Quand on n’a que l’amour
Pour habiller matin
Pauvres et malandrins
De manteaux de velours


Quand on n’a que l’amour
À offrir en prière
Pour les maux de la terre »

Ce ne serait pas un peu cela le quotidien des Frats et de leurs équipiers et bénévoles ? Doit-on s’en satisfaire ou s’y résigner ? Non, il faut bien sûr chercher des moyens d’action, ils sont nécessaires ; sans pour autant oublier que le principal est exactement dans ces paroles magnifiques. À l’accueil de la Maison Verte il m’arrive d’en rire à voix haute avec les personnes domiciliées en traitant un dossier : « Désolé, l’ordinateur est pourri, c’est lent », « Pourriez-vous revenir mercredi, car aujourd’hui le scanner est en panne ? », « Désolé, je suis un peu vieux, je fais des erreurs ». Car même le bénévole est parfois en mauvais état… Loin de s’énerver, nos accueillis rigolent en général de nos faiblesses et du système bricolo-débrouille. Je ne suis pas sûr qu’ils s’attendaient à une telle vision quotidienne de la grande France, sixième puissance mondiale. Mais je pense, que contrairement à leurs démarches administratives habituelles et officielles, ils sentent que quelque chose se passe dans ce dérisoire qui, si ce n’est de l’amour, est déjà le début d’une attention. Et l’amour cela commence toujours avec de l’attention à l’autre. Pas simplement celui ou celle que l’on choisit et que l’on veut séduire dans une relation privée, il y a cette dimension de l’amour plus large, qu’une spiritualité nous a enseignée, pour certains. On ne peut pas demander de l’amour à l’administration, elle n’est pas forcément là dans ce but premier. Quant à essayer de faire rire une Préfecture, je ne sais pas si vous avez déjà tenté, mais je doute. Cela me parait fondamental l’humour. Quand une personne domiciliée commence à comprendre que vous vous moquez ou que vous faites de l’autodérision, c’est d’abord le signe d’une communication possible, d’une barrière linguistique franchie. Et puis c’est personnellement une question de principe, je ne peux pas vivre sans humour et sans le sens de la dérision. Cela va en se renforçant avec l’âge. Umberto Eco avait raison dans la clef de son énigme du « Nom de la Rose » ; le plus grand danger qui guette l’autorité, ecclésiastique ou étatique d’ailleurs, c’est la découverte du rire[2], ce secret caché dans la bibliothèque et au fond de chacun de nous. Accueillons donc avec attention et, si possible, amour et humour.

Laurent Piolet


[1] Jacques Brel quand on a que l’amour https://www.paroles.net/jacques-brel/paroles-quand-on-n-a-que-l-amour

[2] Umberto Eco s’est appuyé sur un fait réel. Un livre de la Poétique d’Aristote, s’est perdu dans le temps et ne nous est pas parvenu. Il devait traiter de la Comédie. Et comme nous le savons, lorsqu’il y a comédie, il y a le début d’un humour et d’une offense possible au sacré. Les comédiens en ont fait les frais jusqu’au XVIIIe siècle. Privés de cimetière chrétien, ce qui n’était guère chrétien !