Avec l’invasion de l’Ukraine, ressurgit la vieille peur de la guerre qui s’ajoute à tant d’autres. Quel rôle moral jouer, se demande Sylvain Cuzent, président de la Mission populaire ?
Au moment où je commence à écrire pour le Blog de la Miss Pop, la radio annonce que les troupes russes sont entrées ce matin en Ukraine. Émotion ! Inquiétude ! La guerre ! Un spectre qui vient réveiller des tensions enfouies, des relents inconscients et pourtant bien présents. La guerre ! Même si personne ne l’a déclarée formellement, nous voilà à nouveau en face de cette réalité en Europe ! La guerre !
Si l’on se penche sur une carte de l’Europe on voit que nombre de pays membres de l’Union européenne sont des voisins directs de l’Ukraine : la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie, la Pologne. Et puis la Moldavie. Sans compter le Bélarus qu’on ne sait pas bien où situer politiquement, mais aussi l’Estonie et la Lettonie qui partagent une frontière avec la Russie et la Lituanie qui n’en a pas mais n’est pas si loin. Bref, toute une région qui ce matin frissonne en entendant le bruit des bottes et celui des bombes qui s’abattent sur l’Ukraine leur voisine.
Cette agression de la Russie viole toutes les règles du droit international sur ce qu’on appelle l’intangibilité des frontières. Le droit international que l’ONU est censé faire respecter – mais la Russie étant membre permanent du Conseil de sécurité il sera bien difficile à celui ci de prendre une quelconque position – le droit international donc, interdit toute ingérence d’un État dans les affaires d’un autre État. Que ce soit politiquement et encore plus militairement. Le droit international condamne l’ingérence sauf si l’État qui intervient militairement est dans une situation de légitime défense – c’est un peu ce que prétend Moscou ! – ou si c’est le gouvernement lui même qui a demandé l’intervention militaire. Ce qui n’est évidemment pas le cas en Ukraine !
Interpellation morale
Cette situation nous confronte à une interpellation morale : « Faut-il, si le gouvernement de l’Ukraine appelle à l’aide, voler au secours de ce pays agressé et y envoyer des troupes au risque de voir le conflit dégénérer et peut être échapper à tout contrôle ? faut-il en rester à des condamnations verbales, morales, fondées juridiquement mais impuissantes en fait et à des sanctions forcément limitées qui finalement laissent l’Ukraine seule face à l’invasion de son territoire ?». Dilemme difficile à trancher ! Qui serait prêt à donner sa vie pour l’Ukraine ?
Je n’avais pas prévu de vous parler de l’Ukraine mais de la peur, des dangers qui nous guettent. Que ce soit celle liée à la pandémie du COVID. En quelques jours, il y a deux ans elle a bouleversé notre vie et notre rapport aux autres. Notre vision du monde aussi en faisant ressurgir la mémoire du monde ancien, celui des épidémies terrifiantes. Et celui qui vient, celui en qui nous avons envie de croire. « Avec le COVID – écrit Bertrand Kieffer, médecin et théologien suisse, dans la Revue médicale suisse qu’il dirige – le mythe qui fondait la confiance et la fierté de la modernité, la croyance en la toute-puissance de l’homme sur la nature, s’effondre. Ou plutôt s’effondre l’idée qu’il s’agissait d’une protection évidente, assurée, sans fin. Nous nous découvrons vivants parmi les autres, fragiles, simples sujets d’écosystèmes ». Nous nous découvrons nus et vulnérables!
Que ce soit la peur liée au risques climatiques dont on voit bien qu’ils sont réels et nécessitent que nous changions nos modes de vie. Mais sommes-nous prêts à modifier profondément nos usages et à remettre en cause la manière dont nous nous déplaçons, dont nous occupons nos logements, dont nous mangeons ? Sommes-nous d’accord pour faire évoluer des pratiques aussi fondamentales et structurantes, sans que cela pénalise les moins favorisés ? Ou souhaitons-nous préserver nos modes de vie actuels, quitte à rendre l’atteinte de nos objectifs climatiques encore plus ardue ? Bien plus qu’une question technique, il s’agit là d’un véritable choix de société. « La sobriété, ce n’est ni un scénario du Moyen-Age ni un scénario où les trains s’arrêtent quand il n’y a plus de vent pour faire tourner les éoliennes, mais c’est clairement un scénario où le pacte de société n’est plus le même », expliquait Thomas Veyrenc, le directeur exécutif stratégie et prospective de RTE.1
La campagne des peurs
Que ce soit la peur du terrorisme que les procès des attentats islamiques de Paris en 2015 ou celui de St Etienne du Rouvray en 2016 viennent réveiller (sans oublier Nice). Peur que des politiciens sans scrupules viennent attiser en agitant d’autres peurs, celle d’un islam fanatisé, celle des migrations, celle du déclassement social, celle de ce qu’ils appellent « le grand remplacement ». La campagne présidentielle en cours nous soumet à ce matraquage indécent de discours démagogiques.
Nous, militants de la démocratie, de l’éducation populaire, de la liberté de pensée, nous avons devant nous de graves et grands défis, ce que Edgar Morin appelle « une grande, lourde, mais nécessaire tâche de régénération de la pensée, qui comporte nécessairement une régénération de la pensée politique… Il est vital de l’entreprendre, et l’entreprendre ferait naitre l’espoir ».2
Comme le colibri face à l’incendie gigantesque, les Fraternités de la Mission populaire ont une place à tenir pour que naisse, pour que vive l’espoir.
Sylvain Cuzent est président de la Mission populaire évangélique de France et secrétaire de la Frat’Aire du Pays de Montbeliard.
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1 RTE= Réseau de transport de l’électricité
2 in Doit-on avoir peur? sous la direction d’Eric FOTTORINO Le un les 1ndispensables