Penser le jour d’après

Christian Bouzy, pasteur du Foyer de la Duchère, invite à tirer profit de la crise à la lecture de Jérémie.

Le confinement a ouvert devant nous de longues plages de méditation et de réflexion. Saurons-nous en tirer profit ? Allons-nous individuellement et collectivement tirer les leçons de cette crise aux dimensions multiples, sanitaire, écologique, politique et sociale ?

La facilité serait de penser qu’il ne s’agit que d’une parenthèse que nous allons bien vite refermer pour reprendre une vie normale. Les lobbyings économiques poussent dans ce sens ; il faut que les affaires reprennent vite. Davantage, il faudra « mettre les bouchées doubles » pour rattraper le temps perdu et relever la courbe de la croissance, quitte à malmener un peu plus le droit du travail (congés payés, heures supplémentaires, salaires…). Ainsi la tentation est forte de suivre la même voie qu’en 2008 après la crise financière, c’est-à-dire de revenir au jour d’avant sans rien remettre en cause, comme si rien ne s’était passé.

Et pourtant, nous le savons bien ; il y a là un rendez-vous à ne pas manquer, une opportunité unique pour tout remettre à plat et faire le bilan de nos fonctionnements individuels et collectifs. Et pour les chrétiens, il y a un défi ; celui de rendre compte de l’espérance qui les porte et qu’ils ont célébré le jour de Pâques. Dans ce contexte de crise, le mot espérance a-t-il encore un sens ? Et si oui lequel ?

Dans cette réflexion, un livre biblique m’a d’abord inspiré, celui de Jérémie, et je vous en propose le détour. En effet, ce prophète est mêlé, bien malgré lui, à un des évènements les plus dramatiques de l’histoire du peuple hébreu, celui de la destruction de Jérusalem et de l’exil à Babylone, sur une terre étrangère et hostile (en 587 av JC). Intervenant une quinzaine d’année avant ce drame, Jérémie est considéré par ses contemporains comme un prophète de malheur, parce qu’il annonce que le Royaume de Juda sera bientôt sous la domination du Roi de Babylone, alors que d’autres prophétisent que Dieu les protégera contre les puissances ennemies et que donc il ne faut pas s’inquiéter.

Ce débat entre Jérémie et les autres prophètes se poursuit après la prise de Jérusalem par l’armée babylonienne, et après l’exil. Ce débat oppose ceux qui disent que l’exil ne durera pas longtemps, et que tout reprendra comme avant,  et ceux qui, à l’instar de Jérémie, disent en substance; « soyez patients, installez-vous à Babylone, bâtissez-vous une maison, plantez votre jardin, intercédez pour les babyloniens, car cela va durer un certain temps ! » Cependant, proclame Dieu par la bouche de Jérémie, «je vous donnerai un avenir et une espérance ! »

Mais alors, que signifie le mot « espérer » selon Jérémie, et à la lumière de Pâques que nous avons célébrée il y a peu ?

Espérer, ce n’est pas nier la réalité et se convaincre que tout ira bien quand les problèmes arrivent. Jérémie est lucide ; il accepte de voir la réalité en face. Manifestement, il prend le temps d’observer l’actualité ; il prend la mesure des enjeux internationaux et des rapports de force entre pays ; Il ne se berce pas d’illusions et il refuse les fausses promesses. C’est en cela qu’il se distingue du prophète Hananya (livre de Jérémie, chapitre 28) qui lui n’hésite pas annoncer ce que ses contemporains ont envie d’entendre, quitte à être déconnecté du réel : « D’ici peu, tout sera comme avant, vous pourrez revenir chez vous et reprendre une vie normale ! »  Est-ce par désir de plaire ou par peur de décevoir qu’il s’exprime ainsi ? Ou bien est-ce parce que son désir d’en sortir est si fort qu’il se confond avec la réalité elle-même ? Et nous-même, est-ce que nous acceptons de voir la réalité en face ? autrement dit, est-ce que nous prenons bien la mesure de ce que cette crise sanitaire nous révèle sur notre façon de vivre, et sur ce qui pose problème dans notre rapport à la nature, nos relations les uns avec les autres, et ce que nous avons défini comme priorités ?

Reconnaissons-le d’abord, nous faisons l’expérience d’un échec sur le plan sociétal.

Nous pensions que notre monde technicien, performant, connecté, prévoyant allait nous préserver de ce type de fléaux. Et ce n’est pas le cas. Tout à coup, nos illusions de maîtrise et de pouvoir volent en éclats.

Ou bien nous pensions qu’une économie fondée sur le dogme de la croissance allait nous garantir prospérité et bien être ; nous pensions qu’il fallait tout miser sur les lois du marché et la recherche de profit, et plus que jamais nous touchons les limites de ce système, en prenant conscience de l’impérieuse nécessité d’investir davantage, même si cela coûte cher, dans nos services publics, en particulier les hôpitaux et la recherche médicale, mais pas seulement.

Mais aussi il faut le souligner, cette crise révèle en positif le dévouement d’un grand nombre de personnes ; soignants, chercheurs, artisans, commerçants, agents de l’État, éboueurs, salariés ou bénévoles d’associations prêts à donner beaucoup d’eux-mêmes pour le bien commun. Cette crise révèle l’importance des solidarités de voisinage ou de quartier qui se tissent, au-delà de tout intérêt financier, pour venir en aide aux plus vulnérables.

Et puis, nous pensions pouvoir disposer de la nature comme si elle était notre bien propre, détruire des forêts entières et des écosystèmes par milliers pour étendre nos constructions toujours plus loin, et nous découvrons que les pandémies proviennent en partie d’un manque d’espaces habitables pour les autres espèces de vivants.

Enfin cette crise révèle en creux – parce que notre activité industrielle et nos déplacements motorisés ont considérablement diminué en l’espace de quelques semaines- que la pollution est une cause de mortalité beaucoup plus grave que le coronavirus, puisqu’elle provoque 800 000 morts par an en Europe.

Tout cela me ramène à l’évènement de Pâques. La résurrection de Jésus n’efface pas la mort et l’échec que représente pour les disciples sa crucifixion, au contraire, elle en révèle le sens (note 1 Cor 2 v 3 et 15v20 et ss) ; En Christ, nos morts sont transformées en vie, et nos échecs deviennent occasions de créations nouvelles. En lui,un avenir nous est donné. En effet, assumer nos échecs et notre vulnérabilité plutôt que les nier, c’est le début d’un chemin possible. Reconnaître notre incapacité à détenir la pleine maîtrise de notre vie et de notre avenir, accepter de remettre en cause ces dogmes ou ces fausses certitudes sur lesquels nous avions fondé notre assurance (sur le plan économique notamment), c’est le commencement d’une re-création et d’une autre vie possible.

On peut dire d’une certaine façon que le cheminement de Jérémie annonce ce que Jésus va révéler pleinement sept siècles plus tard. En effet, Jérémie est dans une attitude d’ouverture à un autre que lui-même. C’est ce qui le distingue fondamentalement du prophète Hananya qui lui, est refermé sur lui-même. Le premier se place dans l’écoute des autres et de Dieu, alors que le second répète inlassablement le même discours qui est comme le miroir de ses propres envies. Il en résulte que la parole de Jérémie bouscule et ouvre au changement, alors que celle d’Hananya tourne en rond pour revenir à la case départ et au statut quo.

En effet, de notre ouverture ou notre fermeture à l’altérité dépend notre capacité à nous remettre en cause et à changer d’attitude. Écouter un autre que soi est le meilleur moyen de sortir de soi pour envisager une autre voie. A contrario, il y a un enfermement plus grave que celui du confinement, et il est en nous celui-là, dans notre esprit et notre cœur. Il est ce repli sur nos prétentions et nos certitudes dogmatiques. Il est dans le refus d’écouter quelqu’un d’autre que soi, et de se laisser interpeller.

Ainsi la prophétie de Jérémie comme la résurrection du Christ, viennent ouvrir une brèche dans la citadelle de notre autosuffisance et de nos prétentions de totale maîtrise. Et dans cette brèche, s’engouffre la lumière c’est-à-dire la Parole du Tout Autre qui ouvre notre vie sur un avenir possible. Je crois que l’expérience de l’altérité est mystique, mais elle se vit aussi horizontalement dans l’écoute de ce que disent les autres et dans la délibération démocratique, et dans ces nombreux forums citoyens qui se multiplient pour proposer une société plus écologique, solidaire et démocratique.

« je vous donnerai un avenir et une espérance !  parole de Dieu selon Jérémie

Vous m’invoquerez et vous pourrez partir.

Vous me prierez et je vous écouterai.

Vous me chercherez et vous me trouverez

Car vous me chercherez de tout votre cœur,

je me laisserai trouver par vous. »

Le dessin est extrait de la page Facebook de Pierre Hédrich, Un dessin par jour pendant le confinement.

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