Alors que la Maison Ouverte (93) héberge des mineurs migrants à la rue, son pasteur, Stéphane Lavignotte, s’interroge sur le sens de la responsabilités des politiques.
Depuis le 10 décembre, nous hébergeons à la Maison Ouverte (Montreuil 93) une quinzaines de mineurs, migrants, pour qu’ils ne dorment pas à la rue. Ils sont accompagnée par une association « les midis des MIES » (mineurs isolés étrangers). La Maison Verte (Paris 18e) fait de même avec des jeunes accompagnés par l’association Utopia 56. Nos lieux ne sont pas faits pour : pas de douches, pas de chambres, la cohabitation avec des activités culturelles, sociales, etc. La protection de l’enfance est une responsilité de l’État et des départements.
Alors, nous avons écrit aux responsables politiques pour leur demander ce qui ne fonctionnait pas pour que des jeunes se retrouvent à dormir dehors. Nous avons d’abord publié une lettre ouverte (1) sur le site de Médiapart avec dix autres associations à Emmanuel Macron, président de la République, Stéphane Troussel, président du Conseil général de la Seine-Saint-Denis, Anne Hidalgo, présidente du Conseil général de Paris et maire de Paris, Patrice Bessac, maire de Montreuil. Nous n’avons eu aucune réponse.
Alors, nous les avons invité à une table ronde pour en discuter et avons élargi à seize députes de la majorité – nous doutions qu’Emmanuel Macron se déplacerait… -, cinq vice-présidents ou adjoints aux maires de Paris et Montreuil en charge de ces questions, un maire d’arrondisement parisien.
Nous avons des réponses de deux députés, pour nous dire qu’ils n’étaient pas disponibles, l’une des deux nous proposant des dates pour se rencontrer. Un vice-président de Conseil général nous a répondu par une lettre pour expliquer ce qu’ils faisaient déjà. Nous avons eu des échanges téléphoniques informels avec une adjointe au maire. Et c’est tout.
Sur 24 « responsables » politiques, quatre ont donné une réponse.
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Qu’est-ce qu’être « responsable » ? Car ce mot, les « responsables » politiques en ont plein la bouche. Ils « assument leurs responsabilités », ils « décident en responsabilités ». Pourtant, dans ce cas précis – et de nombreuses associations ou de citoyen.n.es pourraient donner des centaines d’autres exemples – sont-ils responsables ? Mounir Mahjoubi, à qui nous avons écrit puisqu’il est député de Paris, ville dont dépendent les mineurs que nous hébergeons à Montreuil, lors d’une de ses interventions à l’assemblée nationale, avait cité Paul Ricoeur – « gouverner c’est décider et agir avec éthique, c’est réconcilier justice et amour » – lors d’une interpellation du Ministre de l’intérieur après l’évacuation d’un camp de migrant dans son arrondissement. Dans la lettre que nous lui avons écrit, poursuivant sa citation de Ricoeur, nous lui avions fait remarquer que Ricoeur rappelle qu’un des premier sens du mot « responsable » est tout simplement répondre… de (la politique gouvernementale ?) et répondre à (aux citoyen.n.es qui posent des questions). Il fait parti de ces vingt responsables sur 24 qui n’ont pas répondu du tout.
Dans les quatre réponses, formelles ou non que nous avons reçu, deux donnent une réponse sur le fond. En gros : nous faisons déjà beaucoup – ce qui est vrai en l’occurence – et faire plus, c’est du ressort d’autres institutions : la ville d’à côté, le département d’à côté, l’État. Ce qui n’est pas faux, en tout cas, du point de vu de la façon dont la loi a réparti les prérogatives sur les différents sujets de l’action publique. L’État ou le département d’à côté, nous auraient sans doute répondu quelque chose d’équivalent. Est-ce responsable ?
Responsable de…
Pour citer encore Ricoeur, la responsabilité ce n’est pas seulement répondre et répondre de mes actes, la responsabilité aujourd’hui c’est se sentir responsable de l’autre fragile. Agir parce que je me sens responsable de l’autre vulnérable. Peut-on – quand on est une institution, un « responsable » politique – s’en exonérer parce qu’on pense qu’on a fait assez ou que ça rentre pas dans les bonnes cases du partage des responsabilités ?
Un jeune qui dort à la rue, ça ressemble beaucoup à un homme tombé dans un fossé parce qu’attaqué par des brigands comme on nous le raconte dans la parabole du bon Samaritain (Luc 10.25-37). Un prêtre et un lévite (employé du temple) vont passer à côté, sans s’arrêter. Ils sont trop occupés par leurs charges, par ce qu’ils ont à faire, par ce qu’ils ont déjà fait. Ils sont comme dit Ricoeur « la parabole de l’homme en fonction sociale, de l’homme absorbé par son rôle, et que la fonction sociale occupe au point de le rendre indisponible pour la surprise d’une rencontre ; en eux, l’institution (…) obture l’accès à l’événement » (2). C’est finalement un samaritain – une minorité juive qui repésente la figure de l’Etranger pour le juif pieux, quelqu’un hors du groupe – qui va aider l’homme dans le fossé. Et Jésus demande : « Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands ?» ; « C’est celui qui a agi avec bonté envers lui », répond son interlocuteur. Etre prochain, ce n’est pas être du même groupe, de la même religion, dans la proximité évidente. Le prochain, ce n’est pas d’abord ma sœur ou mon frère, avant mon cousin ou ma cousine et avant mon voisin ou ma voisine comme le dit l’extrême droite. Dans la parabole, celui qui est socialement le plus loin se fait prochain. On sort de la classe, de la race, de la fonction dont on pense qu’elle nous empêche d’ être prochain, de la route tracée qu’on avait prévue pour aller vers celui qui est tombé dans le fossé et « agir avec bonté ».
Jésus dit cette parabole à un professeur de la loi, qui est sans doute comme le lévite et le prêtre… et l’élu.e : quelqu’un que sa « fonction sociale occupe au point de le rendre indisponible pour la surprise d’une rencontre ». Au point qu’il se barricade dans le silence ou déplace la responsabilité sur le voisin pour ne pas « agir avec bonté ». Tout simplement, agir avec bonté pour l’Autre vulnérable. Est-ce qu’être responsable, au fond, ce n’est pas ça : se faire prochain en agissant avec bonté pour l’Autre vulnérable, sans invoquer aucun faux fuyant qui ferait passer le chemin ? Nos élu.e.s sont-ils responsables ?
(2) Paul Ricoeur, « Le socius et le prochain » (1954) in Histoire et vérité, Paris, Le Seuil, 2001, p. 114.
Stéphane Lavignotte est équipier pasteur et coordinateur de la Fraternité Mission populaire La Maison Ouverte de Montreuil (93)
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