L’impôt saigne le malheureux…

Cette phrase tirée d’un couplet (peu chanté) de l’Internationale pose bien le débat du ressenti de la fiscalité. Elle est longtemps vécue comme une injustice, une oppression par son inégalité. Au demeurant, la phrase suivante est « Nul devoir ne s’impose aux riches ». Enfin, c’est bien un collecteur d’impôt pour les Romains, Lévi, qui fait dire à Jésus « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades », laissant entendre par là, qu’il est le plus indigne de dîner à sa table. (Luc 5, 31)

En ces temps de loi budgétaire introuvable, de négociations longues et de retournements incessants, il faut bien constater encore une fois que l’impôt, tout le monde aimerait l’éviter en ayant pourtant plus ou moins conscience qu’il est inévitable et nécessaire. Mais il faudrait rappeler que l’impôt a changé, qu’il est devenu un outil de redistribution et non une spoliation étrangère. Cette redistribution est insuffisante, mais fortement correctrice d’inégalités tout de même. Et puis, sans impôts, pas de société commune, pas d’infrastructures, pas d’enseignement. Oui d’accord, mais alors pour moi, pas trop s’il vous plait. Nous avons depuis toujours un souci de consentement à l’impôt, tous, et les plus riches encore davantage. Depuis 40 ans de politiques libérales débridées, les plus aisés ont fait sécession. Nous ne voulons plus contribuer, nous sommes à part, assez de pauvres, assez d’étrangers. On évite, on aime les niches (fiscales), on fraude parfois, on s’expatrie aussi, mais financièrement seulement.

Nous sommes une république sociale

Les classes moyennes en reviennent à leur lamento : in fine, c’est toujours nous qui payons. Et ce n’est pas complètement inexact, et on en revient à ce sentiment d’injustice. Il y a toujours plus gros que soi. Et ces pauvres, ils ne pourraient pas payer un peu tout de même, ne serait-ce qu’un euro symbolique ? Ridicule, inefficace, coûteux. Pourquoi prélever un à ceux qui n’ont rien pour leur rendre trois au final ? C’est le but de l’impôt. Nous sommes une république sociale, c’est écrit dans le préambule de notre constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. ».

« Il n’y a pas d’autre solution que de cotiser dans la joie »

Ce qui vaut pour l’impôt vaut pour la protection sociale. La santé pour tous c’est bien ; la retraite c’est humain. Mais alors on ne voudrait plus payer, car voyez-vous cela dégrade la compétitivité de nos entreprises. Compétitivité dans un monde de concurrence dérégulée ? Mais cela conduit forcément à l’alignement par le bas ou le milieu. Le problème est ailleurs. Nous voulons tous être soignés et nous reposer quand l’âge vient. Il n’y a pas d’autre solution que de contribuer. Ou pour reprendre la formule d’un universitaire économiste aujourd’hui disparu : « Il n’y a pas d’autre solution que de cotiser dans la joie »1. C’est une très bonne formulation. Il nous faut payer avec allégresse, tous, en proportion de nos revenus. Cette dépossession nous unit, elle permet de nous regarder dignement les uns et les autres, elle est le seul remède. Il nous faut abandonner notre propension à la thésaurisation sans fin, qui pour certains va au-delà de toute limite dans une passion morbide. C’est la seule manière d’avoir confiance dans notre société, d’avoir la foi en quelque sorte, qui peut être aussi une foi républicaine !

1 Jean-Paul Piriou (1946-2004) Paris 1 Panthéon-Sorbonne