Face à ceux qui opposent volonté populaire et État de droit, Stéphane Lavignotte rappelle une vérité essentielle : nos lois sont l’expression patiente et consolidée de cette volonté. Défendre l’État de droit, c’est défendre la démocratie.
De Bruno Retailleau en France, à Donald Trump, en passant par les promoteurs de l’autoroute A69 dans le Tarn ou plus récemment Marine Le Pen et les représentants du Front national, des hommes politiques s’en prennent aux juges qui s’opposent à certaines – à beaucoup dans le cas de Trump ! – de leurs décisions. Ces juges seraient illégitimes en faisant cela, car ils s’opposeraient à la souveraineté populaire. Les électeurs auraient élu des responsables, ils auraient la légitimité des urnes et donc aucune décision de la justice ne devrait s’opposer à eux. Ce serait un match « légitimité populaire » contre « État de droit ».
On connaît cette situation dans le social ou la lutte pour le vivant. Des policiers, des hommes politiques prennent des décisions et souvent face à ces injustices, il ne reste aux militants qu’à saisir la justice, car ils n’arrivent pas à se faire entendre par les voix démocratiques. De la même manière, les associations de lutte contre la corruption passent par la justice pour faire rendre des comptes aux élus qui détournent de l’argent. Mais en se référant à quoi ? À des lois, à la constitution, à des textes européens. Que sont ces textes juridiques ? Le résultat de procédures, souvent d’années de mobilisation et de travail d’élu.e.s qui ont abouti à ces textes qu’appliquent les juges.
Un texte de loi, beaucoup de volonté populaire
Un texte de loi est le résultat d’un vote des deux chambres, assemblée et sénat dont les membres ont été désignés par les électeurs. Combien de votes derrière une loi, de l’élection des élus, aux votes en commissions puis lors des séances ? Au moins deux tours par élu, un grand nombre de votes en commission ou en séance plénière pour les amendements, et les votes finaux. Plusieurs milliers de votes où la souveraineté populaire s’exerce et qui aboutissent à une loi.
Une décision du Conseil constitutionnel voit des juges désignés par des personnes élues (présidents des chambres, président de la République) appliquer un texte dont chaque phrase a été soumise au vote des Français par référendum ou des deux chambres réunies qui ont du rassembler 3/5 des voix après que le texte ait été voté par chacune des chambres en termes identiques. Là, encore, beaucoup de souveraineté populaire exercée à de nombreuses reprises. Que dire d’une directive européenne qui a dû trouver une majorité au parlement européen, les parlementaires de 29 pays différents étant élus dans chaque pays au suffrage direct, et au Conseil européen, qui réunit les chefs d’État – élus là aussi dans chaque pays ?
Cesser d’opposer
Ces lois sont aussi le résultat de la volonté populaire sur plusieurs dizaines de générations : savez-vous que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que s’est donnée la Révolution française de 1789 fait partie du « bloc de constitutionnalité », les textes de références qu’utilise le Conseil constitutionnel ?
Il est faux d’opposer la volonté populaire à l’État de droit. Le droit qu’appliquent les juges, ce sont des textes qui sont le résultat d’énormément de votes en série qui expriment à chaque fois plus ou moins directement de la volonté populaire. Entre la décision d’un ministre, d’un juge qui décide d’un ordre de quitter le territoire français, d’un policier, d’un préfet qui décide d’une interdiction de manif, prenant seul sa décision, et les textes de loi qui leur sont opposés, où y-a-t-il le plus de volonté populaire ?
Volonté populaire consolidée
On pourrait dire que l’État de droit ne s’oppose pas à la volonté populaire : c’est de la volonté populaire au carré voire au cube ou à la puissance 10 ou 15. De la volonté populaire accumulée, sédimentée, consolidée là où les décisions qu’elles censurent ne sont souvent que de la volonté populaire soit très indirecte – les habitants du Tarn ont-ils jamais voté pour ou contre l’A69 ? – soit évanescente : la décision solitaire d’une ministre qui court après ce qu’il croit être (ou aimerait bien que soit) la volonté populaire.
Alors, pour les droits des plus fragiles, des migrants et des classes populaires, soyons fiers de défendre l’État de droit. Nous ne nous opposons pas à la volonté populaire, nous la faisons entendre dans sa grande largeur, sa belle profondeur et sa longue histoire qui est celle de sa sédimentation dans le droit contre tous les vibrionnant qui l’instrumentalisent pour leur puissance personnelle.