L’Aïd el Kebir : Abraham avait deux fils

À l’occasion de l’Aïd el-Kebir, Jean Loignon, revient sur l’histoire commune d’Abraham, d’Isaac et d’Ismaël, pour rappeler une vérité trop souvent oubliée : aux origines du judaïsme, du christianisme et de l’islam, il y a une même figure, une même foi, une même humanité.

La grande fête musulmane de l’Aïd est célébrée ces 5-6 juin 2025. Elle fait maintenant partie du paysage religieux français avec ce rituel de l’abattage de moutons qui, en ces temps de bienveillance animalière, la fait souvent sévèrement juger. Elle commémore le geste d’Abraham/Ibrahim qui accepta la demande divine de sacrifier son fils, avant qu’une offrande – un mouton – ne vienne remplacer l’enfant, Abraham/Ibrahim étant béni par Dieu pour sa foi. Cette tradition fait évidemment écho au récit biblique antérieur (Gn 22), racontant avec plus de détails la même histoire d’Abraham avec cette fois son fils Isaac dans le rôle de la victime consentante et sauvée in extremis par un bélier envoyé par Dieu.

Le Coran (Sourate 37, vv 100-109) très elliptique ne mentionne pas le nom du fils. C’est une tradition postérieure qui l’identifie à Ismaël, le premier fils d’Abraham.

Retour sur une parentalité complexe

Selon la Bible, Sarah, épouse d’Abraham, était stérile et à une époque où il n’était pas question d’être sans descendance, elle se résolut à ce que sa servante égyptienne Agar soit enceinte d’Abraham ; non sans le regretter au point de la faire chasser dans le désert où Dieu la sauve et lui ordonne de revenir dans ce foyer bancal. Elle accouche alors d’Ismaël qu’Abraham élève comme son fils (Gn 16 et 17,24)

Mais une intervention divine permet à une Sarah incrédule d’être enceinte à son tour, et Isaac – l’enfant qui rit – naît. La vindicte de l’épouse envers une servante désormais inutile la pousse à exiger d’Abraham qu’il chasse à nouveau Agar et son fils, lesquels n’échapperont à la mort dans le désert que par une autre intervention divine, montrant la constance de Dieu à protéger et à bénir toute la descendance d’Abraham, sans exception (Gn 21,8-21).

Isaac par son père Abraham et son fils Jacob fait partie des patriarches du peuple d’Israël; Ismaël est celui des Arabes et des musulmans…

Déjà ennemis ?

Est-ce que la Bible et le Coran témoignent d’une inimitié entre les deux fils, qui serait comme un fil originel des tensions que nous ne connaissons que trop? Un fil instrumentalisé pour les justifier?

Aucunement. Le Coran peu porté à la narration d’entre pas dans ces détails et un verset (Gn 21, 9) note qu’Ismaël s’amuse après la naissance d’Isaac. La version grecque de la Septante (IIIème s. av JC) et la Vulgate latine (IVème s. ap JC) précisent même que les deux enfants jouaient ensemble. C’est en fait le regard de Sarah se vengeant d’une humiliation subie et la lâcheté d’un Abraham soumis qui sont à l’origine des destins séparés de deux enfants qui ne demandaient qu’à vivre ensemble avec l’innocence de leur jeune âge.

Une fraternité des Écritures

Paradoxalement, le judaïsme ne souligne pas dans ses fêtes le sacrifice d’Abraham, alors que l’islam en a fait une fête majeure, basée sur le partage du mouton sacrifié et la solidarité communautaire. Les racines bibliques de l’Aïd nous rappellent alors cette extraordinaire convergence : La Bible habite le Coran, d’Abraham/Ibrahim, Moïse/Moussa, Salomon/Souleyman à Jésus/Issa, Marie/Myriam ou Yahya/Jean le Baptiste ; l’islam se reconnaît redevable envers le judaïsme et le christianisme, sans que nous ayons une attitude réciproque. Et quand un prétendu musulman s’attaque aux juifs et aux chrétiens en tant qu’hérétiques, c’est une partie de l’Islam qu’il tue au nom d’une foi devenue folle.

En ces temps de tragédie sanglante dans le pays d’Abraham, faire mémoire de cette parenté croyante avec ses différences n’est-ce pas se tourner vers un esprit de paix, qui nous dit… Shalom-Salam?