Depuis plus de deux siècles, Haïti porte le poids d’une dette injuste imposée par la France, sous la menace des canons. Cette dette, extorquée aux anciens esclaves pour « compenser » les pertes de leurs anciens maîtres, a saigné le pays et continue d’alimenter une spirale de misère et de violence. Cette histoire méconnue révèle combien la raison du plus fort l’emporte, hier comme aujourd’hui.
« Jamais ils ne lâchent d’eux-mêmes. Pour leur faire lâcher prise il faut être plus fort, les prendre par derrière ou les abattre. » Ce qu’on dit des chiens de combat on pourrait le dire des rapaces de la finance !
Lorsque les révolutionnaires de 1789 proclamèrent la liberté et l’égalité pour tous ils déclenchèrent en même temps une lutte à mort entre les esclaves des colonies françaises et leurs maitres esclavagistes. Très vite les représentants du peuple de la Dominique vinrent à Paris demander que les beaux principes annoncés leur soient appliqués. Ce fut fait. L’esclavage fut aboli en 1794.
C’était sans compter la réaction des grands propriétaires. Ceux-ci défendirent si bien leur cause qu’en 1802, par un décret d’une phrase, Napoléon rétablit l’esclavage. Lui dont la famille de sa première épouse vivait aussi de l’esclavage à la Martinique était sensible au manque à gagner de ces « pauvres propriétaires ». En Haïti il n’en fallu pas plus pour déclencher la révolte qui aboutit à la libération des esclaves et la proclamation de l’indépendance d’Haïti en 1804.
Les rapaces négriers ne lâchèrent pas leur proie pour autant. Il y avait beaucoup d’argent en jeu. Charles X fut aussi sensible que Napoléon. En 1825 il envoya une escadre devant Port au prince pour exiger que les anciens esclaves indemnisent leurs anciens maitres. Un pistolet sur la tempe pourrait-on dire, le président de la première république noire n’avait guère le choix. Il signa une reconnaissance de dette qui allait étrangler le pays pour des décennies. 150 millions de francs or ! 300 fois le PIB d’Haïti !
Que vaut une telle reconnaissance dans ces conditions ? Moralement, rien ! L’argent que Haïti devait emprunter pour payer ce tribut devait l’être dans des banques françaises ! Ça simplifiait les transferts, l’argent rentrait avant de sortir !!!
En tous cas pas question encore aujourd’hui que celles et ceux qui ont profité de cet argent[1] ne le restituent. Le président de la République a seulement concédé une commission d’historiens. Oui d’historiens ! Pendant ce temps Haïti vit dans la misère sous la coupe de gangs qui font régner leur loi par la terreur.
Sylvain CUZENT
[1] Une enquête du New York Times de 2024 révèle que la Banque d’Haïti n’avait d’haïtien que le nom :« Contrôlée par un conseil d’administration basé à Paris, elle a été fondée (…) par le Crédit industriel et commercial, ou CIC, et génère des profits faramineux pour ses actionnaires en France. Le CIC contrôle le Trésor public d’Haïti – le gouvernement ne peut ni déposer ni retirer de fonds sans verser de commissions. »
Les archives retrouvées par le New York Times montrent que le CIC a accablé ses gouvernements de prêts successifs et siphonné des dizaines de millions de francs à Haïti au bénéfice d’investisseurs français – des capitaux qui vont, entre autres, financer la tour Eiffel.