La bonne écoute

Comment accompagner sans imposer ? Dans ce texte, Stéphane Lavignotte revient sur ses premiers pas de pasteur stagiaire au Foyer de Grenelle et partage une découverte essentielle : plus que la « bonne parole », c’est la qualité de l’écoute et de l’accueil qui ouvre des chemins de vie. À travers une expérience marquante et une réflexion nourrie des Évangiles, il interroge la force transformatrice de l’écoute, dans la relation d’aide comme dans la vie communautaire et sociale.

Dans mes premiers mois comme apprenti pasteur – je faisais un stage au Foyer de Grenelle dans le cadre de mes études de théologie – je pensais que mon rôle était de trouver la « bonne parole » à  dire aux personnes qui venaient avec leurs problèmes. J’étais très marqué par la lecture des Évangiles : n’était-ce pas cela que faisait Jésus, trouver les mots justes qui frappaient les esprits et magiquement faisait bouger les personnes, les aidait à sortir de leurs ornières ? Assez rapidement, j’ai compris que l’important n’était pas là.

Je me souviens d’un jeune qui après avoir commencé à travailler dans le bâtiment s’était retrouvé à la rue et passait ses journées, inactif, au Foyer de Grenelle. Malgré nos incitations, pendant plusieurs mois, il se refusait à toute démarche. Et un jour, il nous a demandé de lui trouver une formation. C’était parti : il a accepté de rentrer effectivement en formation, nous lui avons trouvé une place en foyer de jeunes travailleurs, etc. À ma question sur ce qui s’était passé, il me répondit : « Un jour tu m’as dit : quand une porte est entrouverte, il faut y mettre le pied et donner un coup d’épaule ». J’avais eu la bonne parole ? Sauf que… je suis sûr de ne lui avoir jamais dit ça. Par contre, je l’avais écouté, j’avais patiemment reformulé ce qu’il avait dit pour l’aider à réfléchir, pour faire ressortir ce qui le tirait vers la vie et les projets… Et sans doute, une de mes reformulations avait dû lui parler et avait fait son chemin pendant des mois dans son esprit pour qu’un jour, cela participe, avec d’autres choses, à ce que ça se débloque. D’ailleurs, à y regarder de plus près, n’est-ce pas cela que fait Jésus ? Avant sa parole « magique », il y a toujours un questionnement, une écoute pour que la personne concernée exprime ce qui est important pour elle, quelle est son attente.

J’ai donc compris que mon rôle, et notre rôle collectif, était d’abord d’offrir une qualité d’accueil où chacun se sent reçu tel qu’il est, sans jugement, en lui accordant une confiance a priori et une qualité d’écoute : savoir écouter, pour reformuler et aider la personne à elle-même évoluer. Ce qui est valable pour l’accompagnement de personnes à la rue l’est dans bien d’autres cas. Bien travailler à l’école n’est-ce pas d’abord une question de confiance en soi que la rencontre et l’accueil peut favoriser ? Une prédication – on dit sermon chez les catholiques – n’est pas une leçon savante sur un texte biblique, mais la Parole de Dieu qui se rend actuelle pour les personnes qui écoutent… parce que le pasteur a su les écouter et se fait l’écho dans ses mots de leurs préoccupations. La richesse d’un échange dans un groupe biblique ne tient-elle pas d’abord à ce que chacun sait qu’il peut s’y exprimer non seulement sans crainte, mais avec l’assurance d’être entendu ?

C’est sans doute parce que les personnes trouvent cette qualité humaine dans les lieux de la Mission

 populaire – et dans d’autres, associations ou paroisses – qu’ils en parlent comme de leur « famille » ou leur « maison ». N’est-ce pas aussi parce que, au contraire, cela ne se passe pas dans notre sphère politique que la défiance y est si grande ? L’impression que de mouvements des gilets jaunes en manifestations pour la défense des retraites, en passant par les cahiers de doléances du grand débat national, se faire entendre ne sert à rien, que les personnes au pouvoir n’écoutent pas ? Moins de « bonne parole » et plus de « bonne écoute »…