« Prendre ses responsabilités ». Ils et elles sont nombreux à le faire, en particulier dans le travail social face au COVID et ça n’a rien de facile constate Sophie Simon-Clouzet, secrétaire générale de la Mission populaire.
Lorsqu’un jeudi de mars, quelques heures avant la prise de parole du 1er ministre, Valérie m’a annoncé qu’elle fermait la Frat de trappes pour 15 jours, suite à la multiplication des cas Covid dans les cinq écoles dont sont originaires les enfants de l’accompagnement scolaire, l’école en face de la Frat ayant même complétement fermé, elle a conclu avec ces mots « Je ne sais pas ce le gouvernement va annoncer tout à l’heure mais en tout cas, nous, on prend nos responsabilités : on ferme. »
En échangeant les directeurs des Frats et leurs équipes, tous font part des mêmes difficultés : montée en flèche des cas Covid parmi les personnes accueillies et notamment pour l’accompagnement scolaires dans un contexte de brassage d’enfants d’écoles différentes. Ainsi, au Foyer de Grenelle, Aina, le responsable enfance-jeunesse, fait le même constat : ils accueillent 180 enfants et adolescents provenant de 15 établissements scolaires différents et il y a de plus en plus d’enfants malades. Souvent on l’apprend par hasard : c’est un copain de classe qui va dire « non il ne vient pas cette semaine car il a le Covid » et nous… personne ne nous a prévenu. Et c’est pour ça que depuis le 22 mars, les enfants n’ont plus le droit de goûter laFrat’, comme ça ils gardent tout le temps leur masque.
Chacun trouve ses solutions. A Trappes, lors du premier confinement la Frat a fait l’acquisition de tablettes et smartphone, les a distribuées aux familles et a formé tout le monde, bénévoles et accueillis, au distanciel. Donc avec la fermeture de la Frat le 19 mars pour au moins 15 jours, l’accompagnement scolaire se fait maintenant de manière virtuelle.
Depuis le début de la pandémie, les professionnels de l’action sociale, au même titre d’ailleurs que ceux de la santé et de l’éducation, ont les épaules alourdies par cette responsabilité : trouver un équilibre entre l’engagement et la sécurité sanitaire avec une injonction morale d’agir, d’être dans l’action. De fait les associations se retrouvent face à un public grandissant de personnes vulnérables, en grande fragilité et à risque dans tous les sens du terme : les accueillis souvent fragiles et fragilisés par leurs conditions de vie sont plus susceptibles d’attraper le virus, mais donc également de le transmettre. Pour autant les équipes des Frats sont en majorité constituées de bénévoles, souvent retraités et qui donc du fait de leur âge sont par définition considérés comme « à risque » (de développer une forme grave de la maladie). Et aux côtés des bénévoles, il a aussi les salariés qui pour certains ont des problèmes de santé ou ont dans leur entourage familial un proche à la santé fragile pour lequel ils s’inquiètent.
Equilibre entre engagement et responsabilité
Ainsi, depuis un an, dans les Frats, les équipiers et leurs CA arbitrent en permanence, essayent de trouver la bonne formule : rester ouvert ou pas ? et pour quelles activités ? pour quels publics ? et avec quels bénévoles, quels salariés ? Trouver le juste milieu, garder le bon équilibre, tenir compte des sensibilités des tous, et en même temps être garant du respect des règles de s et des conditions sanitaires sécurisées d’accueil pour tous. Ainsi à Nantes lors du second confinement, il avait été demandé aux bénévoles plus âgés de ne plus venir à la Frat pour ne pas leur faire prendre de risques, mais quelques mois plus tôt, lors du premier confinement, ces mêmes bénévoles s’étaient mobilisés et se réunissaient dans les locaux pour fabriquer des masques en tissus. Les associations sont dans une recherche permanente d’équilibre entre engagement et responsabilité.
Car en cette époque kafkaïenne, ils sont, ne l’oublions pas, responsables de la sécurité et de l’application de la réglementation qui change au fil des semaines. Et leur responsabilité est d’autant plus grande que ces règles évoluent en permanence, ne sont pas cohérentes et n’ont parfois même aucun bon sens.
Force est de constater que l’Etat n’est pas fiable, donc suivre simplement les directives gouvernementales ne garantit pas d’agir pour le bien commun. Nous entendons depuis plusieurs semaines cette expression assez sibylline qui revient dans toutes les conversations, entretiens, interventions des représentants de nos institutions : la fameuse « balance bénéfices/risques » : sur le vaccin astrazeneca, sur la question du maintien des écoles ouvertes, le confinement. Mais concrètement pour qui sont les bénéfices et qui prend les risques ? Et est ce que ceux qui décident que la balance penche d’un côté plutôt que de l’autre sont ceux qui prennent les risques ?
Trouver des solutions
Concernant la gestion de la pandémie, les défaillances de l’Etat ont été pointées à de nombreuses reprises. Mais ce qui apparaît ces dernières semaines c’est qu’il est surtout défaillant éthiquement et que les individus, notamment ceux qui accomplissent des missions de service public et d’intérêt général, sont abandonnées, laissés seuls à devoir choisir, agir en leur âme et conscience. Comme le dilemme des enseignants : continuer à venir enseigner et accueillir leurs élèves dans les conditions sanitaires dégradées ou exercer leur droit de retrait pour se protéger certes mais également cesser de participer à la diffusion du virus.
Les responsables des Frats, membres des conseil d’administration comme directeurs ou pasteurs prennent leurs responsabilités et tentent de trouver des solutions, un équilibre entre d’un côté l’engagement, le fait de porter secours face aux besoins chaque jour plus criants des plus démunis ; et en même temps se protéger et protéger ceux dont ils ont la responsabilité : les salariés, les bénévoles, les accueillis et bien sûr leurs proches et eux-mêmes. Et c’est terriblement difficile pour les Frats aujourd’hui, qui au même titre que notre société sont traversées depuis un an par ces tensions parfois très fortes entre les personnes : celles qui pensent qu’agir c’est maintenir les structures ouvertes, tenir, poursuivre le plus d’actions, d’activités possibles et l’accueil du plus grand nombre de publics ; et les autres qui ne sont pas moins méritants, et qui tentent d’adapter, de s’adapter, cherchent comment préserver les activités et préserver les forces vives, protéger le collectif et les individus, et qui parfois font le choix difficile d’arrêter ponctuellement parce que se mettre en retrait c’est aussi agir.
Sophie Simon-Clouzet est secrétaire générale de la Mission populaire.
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