L’immigration, autrefois perçue comme une richesse et une nécessité pour reconstruire la France d’après-guerre, est aujourd’hui souvent présentée comme un problème. Comment en sommes-nous arrivés à cette vision réductrice et inquiétante ? Dans cet article, Sylvain Cuzent explore les mutations des discours et des politiques migratoires en France, entre déni des réalités et instrumentalisation politique.
Alors qu’elle était envisagée de façon positive et généreuse au lendemain de la seconde guerre mondiale à un moment où la France exsangue manquait de bras, l’immigration est devenue peu à peu une « question » avant d’être aujourd’hui qualifiée de « problème ». Ceux que l’on appelait simplement « étrangers » au cours des années 50 puis « travailleurs immigrés » au cours des années 70 sont devenus des « immigrés ». Depuis le début des années 2000, après que l’étude des demandes d’asile soit passée du ministère des Affaires étrangères à celui de l’intérieur, on ne fait plus trop la différence entre les motifs d’immigration, entre les réfugiés et les autres. On parle de « migrants » terme globalisant qui fait peu de cas de la dimension humaine. C’est pourtant de personnes dont il s’agit ! On sait les drames des naufrages en méditerranée ou dans la Manche. On se souvient des tentatives désespérées et durement réprimées aux portes de l’Europe de personnes fuyant la guerre en Irak et en Syrie en 2015.
Comment en est-on arrivé là ?
Alors que la France a été traditionnellement une terre de refuge, les discours de rejet dominent aujourd’hui. Comment en est-on arrivé là ? Certes et depuis longtemps, les syndicats ouvriers n’ont jamais vu d’un bon œil l’arrivée de travailleurs étrangers perçus comme une menace pour les droits et la rémunération des salariés français. Dans sa chanson « Lily », Pierre Perret ironisait sur « les bateaux pleins d’immigrés qui venaient tous de leur plein gré vider les poubelles à Paris ». La gauche qui avait promis le droit de vote des étrangers en 1981 l’a bien vite oublié. Qui se souvient encore de la « Marche pour l’égalité de 1983 ? Ou de la vague de petites mains jaunes au revers du manteau proclamant « Touche pas à mon pote » ? Le chômage est venu brouiller les pistes et les esprits alors que beaucoup de secteurs économiques – de l’agriculture à la santé en passant par les gardes d’enfants et l’aide à la personne – seraient paralysés s’il n’y avait pas la « main-d’œuvre étrangère ». Mais le sujet parait un si bon argument politicien qu’il serait dommage de s’en passer !
Mon cadeau pour le ministre de l’Intérieur
29 lois sur l’immigration au cours des 40 dernières années ! Et ce n’est pas fini ! Le nouveau ministre de l’Intérieur annonce le développement des OQTF* ! Pour des personnes dont le seul « tort » est d’être désormais « inutile » puisque retraitées après parfois plus de 40 ans de travail régulier en France** ? L’administration française distribue au compte-gouttes des autorisations de séjour et laisse parfois des personnes « ni-ni »*** pendant des années. Des autorisations de séjour parfois valables une seule année**** obligeant les personnes à d’incessantes démarches et réduisant d’autant leurs chances d’obtenir un logement ou un emploi stable. J’aurais très envie d’offrir pour Noël le dernier livre de François Heran, directeur de l’Institut national d’études démographiques, « Le grand déni » au ministre de l’Intérieur. Il pourrait y lire, s’il l’ignore, que non seulement la France ne fait pas face à un « tsunami » migratoire, mais n’a pas pris sa part dans l’accueil européen de réfugiés, que l’immigration familiale recule et que la hausse de la population immigrée dans notre pays vient d’abord de la migration estudiantine et économique. Bien loin du « grand remplacement » !
Sylvain Cuzent,
Président de la MPEF
_______________
* OQTF : Obligation de quitter le territoire français
** Voir appel de la Cimade pour Bob, congolais âgé de 66 ans et régulier en France depuis l’âge de 27 ans, où il a eu des enfants et sous prétexte que ces derniers majeurs n’auraient plus besoin de lui !
*** Ni expulsable ni régularisée ! Notamment les parents d’enfants français ne peuvent être expulsés.