Des petites lumières dans un sombre septembre

Le 17 septembre à La Maison ouverte. La troupe Laban theater de Beyrouth est invitée par une troupe de théâtre de la Drôme et la Maison Ouverte. Des réfugiés palestiniens et des militants pour la Palestine racontent des récits de leur vie.

Un jeune homme palestinien parle des différents pays où il a vécu, mais jamais en Palestine. Être déraciné. Une Palestinienne qui vit depuis longtemps en France raconte une manifestation à Paris où sa petite fille a, pour la première fois, respiré des gaz lacrymogènes. La mère n’a pas été inquiète, elle sait gérer ça. Depuis longtemps, en Palestine, le gaz lacrymogène est pour elle l’odeur de la lutte pour la reconnaissance et l’indépendance. Elle a été émue, elle a eu l’impression que sa fille, née en France, a, ce jour-là, été baptisée Palestinienne. Les personnes racontent, les comédiens jouent les récits, de manière symbolique. Ce qu’on appelle du théâtre reflet ou playback. Les personnes se sentent entendues, reconnues, leur expérience trouve un écho dans le jeu de comédiens nourris de leur propre expérience, eux qui sont syriens, palestiniens ou libanais.

Le 27 septembre à la Maison ouverte.  Une vingtaine de personnes se retrouvent dans le cadre du Temps de la création. Dans l’actualité, un peu partout dans le monde, des inondations sèment la désolation et des typhons rasent des villes entières. Pendant cette soirée à la Maison ouverte, sous forme ludique, on réfléchit aux racines de l’écologie chrétienne, on partage un moment de célébration spirituelle, ouverte à chacun et chacune, pas obligatoirement croyant. On réfléchit, on pleure, on rit ; on se donne de la force…

S’enraciner ?

3 octobre au belvédère de Belleville de Paris 20e. Je prends la parole pour la Mission populaire lors d’une célébration de Rosh Hashanah organisée par des associations juives (UJFP, Tsedek, Kessem) s’opposant à la politique de l’État israélien de colonisation et de destruction génocidaire de Gaza. Il y a aussi un prêtre et un imam. Le rabbin Gabriel Hagaï dit les paroles rituelles du Nouvel An juif. On jette des pierres dans une bassine d’eau pour laisser derrière nous ce qui nous retient d’entrer dans la nouvelle année. L’assemblée est jeune, des looks queers, militants, alternatifs, qu’on n’imagine pas – peut-être à tort – dans une synagogue, une église, un temple. L’assemblée reprend telle ou telle prière, telle ou telle phrase. Elle communie, prie. La thématique de la soirée est celle de la DoyKayt, l’Ici-té : s’enraciner dans sa terre natale et revendiquer le droit d’y vivre, idée du mouvement ouvrier juif Bund du XIXe siècle. Ces jeunes gens ont-ils trouvé dans ce moment leur DoyKayt spirituelle ? L’ont-ils habituellement dans nos institutions ?

Le 10 octobre, le squat de l’avenue magenta à Montreuil est violemment expulsé par la préfecture, malgré les promesses, alors que le froid a commencé à mordre. Nous, nous avons soutenu ces dizaines de familles africaines avec enfants dont les hommes et une partie des femmes travaillent. Elles s’étaient d’abord installées, en mai 2022, dans un ancien restaurant chinois tout à côté de la Maison ouverte puis avaient déménagé ans ce nouveau lieu, ouvert par des militants autonomes/libertaires pour les mettre à l’abri. Nous avons ensuite fait ce que nous avons pu, moins que beaucoup d’autres militants. Une fois connue l’expulsion, nous proposons d’accueillir une partie de leurs affaires dans notre cave, des habitants de la Maison Ouverte accueillent dans leurs appartements certain.e.s des expulsés pour une nuit ou deux.

Justice de Dieu ?

Comment ressentir et lire ces événements ? Se laisser écraser par l’inéluctable crise climatique ? Se laisser désespérer par l’absence d’espérance dans le conflit interminable en Israël et Palestine ? Pleurer de rage de voir des familles expulsées de bâtiments qui vont encore rester vides des années ? Une des grandes questions de la théologie et de la philosophie, inaugurée par le philosophe allemand Leibniz au 17e siècle sous le terme de théodicée (« justice de Dieu » en grec) est de savoir comment résoudre la contradiction entre l’existence du mal et deux caractéristiques de Dieu : la toute-puissance et la bonté. S’il est tout puissant et que le mal existe, c’est qu’il laisse faire le mal donc il n’est pas bon. S’il est bon et que le mal existe, il ne peut accepter que ce mal ait lieu, c’est donc qu’il n’est pas tout puissant. À différente époque, face à des catastrophes naturelles, Rousseau puis Voltaire reprennent ce débat.

Le mystère du bien

En 1908, le théologien libéral et figure du christianisme social Willfred Monod (le grand-père de Théodore Monnod) s’y intéresse à son tour. Il imagine un dialogue sur les ruines de Messine, en Sicile, où vient de se dérouler un tremblement de terre. Pourquoi ce désastre ? Le prêtre défend que c’est bien Dieu qui en est à l’origine, mais que les voies de Dieu sont impénétrables et que personne ne peut connaître réellement ses dessins. L’athée défend une réponse purement scientifique : celle de la dérive des continents qui continue à provoquer des frictions entre les plaques tectoniques sur une terre encore jeune. Dieu n’y est pour rien, car il n’existe pas. Et puis il y a une infirmière. On comprend que Wilfred Monod veut en faire la figure dans laquelle il se reconnaît. Elle balaie d’un revers de la main les deux explications. Ça ne l’intéresse pas. Elle témoigne de son travail de soin des blessés et de consolation de ceux qui ont perdu des êtres chers. Wilfred Monod insiste sur cette figure de l’infirmière. Elle agit pour la lumière et le bien au sein de la catastrophe. Pour lui il y a moins d’intérêt à se focaliser sur la question du mal, de la théodicée qu’à insister sur le mystère du bien. Ce miracle sans cesse renouvelé qu’au milieu des périodes les plus noires, il y a toujours des personnes pour allumer une petite lumière, pour faire le bien, pour entretenir l’amour. Pour écouter les exilés, aimer la planète, prier et manifester pour la paix, ouvrir sa porte à l’expulsé. Pour sauver une personne et par cela sauver l’humanité, comme on le dit dans les sagesses juives comme musulmanes. Pour penser que la vie et l’humanité seront toujours plus fortes.

Stéphane Lavignotte, pasteur et coordinateur de la Maison Ouverte de Montreuil, 93.