Se séparer, partir, revenir, être accueilli ou pas… Pas si facile la relation de frère, enfant d’un parent, elle croise souvent la question de l’exil constate Valérie Mégnin de la Frat’aire, Fraternité de Grand-Charmont (25).
« Ah ! Qu’il est doux pour des frères de demeurer ensemble ». Ce sont les paroles d’un petit chant hébreu que nous trouvons dans souvent dans nos recueil de cantiques. Oui, il est bon de se retrouver et de demeurer ensemble. Nous savons tous que des frères, ça peut s’aimer, parfois se séparer, parfois se retrouver, mais des frères restent des frères, les membres d’une même famille. Chacun des frères, suit son chemin, chacun vit ses expériences, chacun peut avancer, trébucher, s’arrêter ou repartir. Souvent dans les fratries, chacun est si différents de l’autre que le seul point commun semble être juste leur ADN. Etre frères et sœurs ne veut pas toujours dire s’aimer, se comprendre et tout partager.
Dans la bible le texte de Luc au chapitre 16 que l’on appelle « le retour du fils prodigue », il nous est raconté l’histoire d’un fils qui veut partir vivre sa vie et qui pour cela demande à son père sa part de l’héritage. Le père partage donc ses biens, donne une part à ce fils aventurier et le laisse partir sur les chemins. Ce fils se perd en route, dépense tout son bien, jusqu’à se retrouver sans le sou, épuisé et malade, à vivre au milieu des porcs. Un dernier soubresaut de conscience lui dit qu’il lui faut rentrer auprès de son père pour demander du secours et demander son pardon. C’est ce qu’il fait, il s’en retourne auprès du père, prêt à faire le pire travail pour son père si celui-ci consent seulement à lui donner à manger.
Départs contraints et fratricides
Le père accueille son fils comme un roi, tuant même le veau gras pour faire un banquet, lui donnant sa plus belle tenue pour fêter le retour de ce fils perdu, qui lui est revenu. Cet accueil de ce père n’est pas forcement du gout de l’autre frère. Lui, qui est toujours resté auprès de son père à travailler à ces cotés et à le servir. Pour lui pas de fête, pas de banquet, il a de quoi jalouser ce frère qui revient, n’est ce pas ?
Combien d’enfants perdus ont quitté leur famille par choix, même si ce n’était pas le bon choix ? Combien ont tout quitté par contrainte ? Combien sont aujourd’hui jetés sur les routes par la famine, la guerre, la persécution ? Combien espèrent refaire leur vie ailleurs et combien espèrent rentrer sur la terre de leurs ancêtres ? Combien de frères sont déchirés par des petites histoires de famille ? Combien le sont par la grande histoire de l’humanité qui fait de ceux qui étaient frères hier encore, sont devenus ennemis et d’entretuent aujourd’hui, pour une terre, un pays, des idées ?
Le texte de ce fils dans la bible, nous décrit plutôt un jeune homme qui ne fait pas le bon choix de vie et qui pourtant revient au père. Tous ceux qui dans leur vie se sont égarés comprennent ce que cela signifie, et savent toutes la joie de pouvoir, un jour revenir et espérer recommencer une nouvelle vie, en laissant derrière soit les mauvais souvenirs du passé, pour ne se tourner que vers l’avenir. C’est ce que nous propose ce texte : c’est l’accueil d’un père qui retrouve son enfant, mais c’est avant tout cet enfant qui malgré ses fautes, ses erreurs, sait, dans un dernier sursaut, choisir de revenir dans le giron familial.
Sur les routes
En cette période troublée où la guerre a jeté contre leur gré, des millions de femmes, d’enfants et d’hommes sur les routes de l’exil, comment envisager un retour au pays natal ? Comment penser que des peuples frères hier, ennemis aujourd’hui puissent un jour à nouveau fêter leurs retrouvailles autour d’une même table ? Il me revient des paroles de Jean, un aïeul qui avait fait la guerre de 14/18, gazé dans les tranchés de Verdun et qui s’en était sorti, et lui qui avait ensuite vécu l’exode de la seconde guerre mondiale s’était pourtant engagé dans un groupe d’amitié franco-allemand pour la paix, pour ne pas oublier que tous les hommes sont frères.
Je pense à ceux qui ont tout laissé derrière eux, ceux qui sont partis avec juste un petit sac contenant un peu d’argent et leurs papiers d’identités. Je pense aussi à tous ceux qui donnent tout ce qu’il possède pour payer des passeurs qui les entassent sur des embarcations de fortune où la moitié n’arrivent jamais à la terre promise, mais qui tentent la traversée malgré tout, pour essayer de passer dans un pays idéalisé où ils espèrent pouvoir vivre un jour juste dignement. Je pense à ceux qui sont invisibles, sans papier, sans terre, sans travail, sans famille et qui tentent juste de survivre, dans des pays prônant soit disant l’égalité et la fraternité et je m’interroge sur qui sont mes frères et sœurs ? Et moi qui suis-je capable d’accueillir avec un repas de fête ?
Dans un petit sondage réalisé dans ma Frat, les mots qui reviennent le plus pour qualifier ce qu’est notre frat, sont famille, solidarité et partage. Alors voici, je sais pourquoi je suis dans cette frat. Je sais qu’elle est la famille de beaucoup ici, peut importe son parcours, ses errances, ses choix et ses espérances, je sais qu’elle est une famille où il fait bon se retrouver autour d’un repas de fête où tous sont invités.
Ah ! Qu’il est doux pour des frères de demeurer ensemble !
Véronique Mégnin est membre du CA de la Frat’Aire, Fraternité de Grand-Charmont.
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Illustration : Le retour du Fils prodigue de Rembrandt.