Dans un secteur associatif en pleine mutation, où les méthodes issues du management d’entreprise s’invitent de plus en plus, la question de la place de l’humain au travail devient centrale. Valérie Rodriguez interroge ce glissement culturel et défend une autre manière de penser nos équipes : non pas comme des « ressources » à gérer, mais comme des « richesses » à préserver.
Je lisais récemment un article de journal sur le vocabulaire du management dans les entreprises, vocabulaire de plus en plus inspiré de la culture anglo-saxonne… Feed-back, deadline, reporting, team building, etc. Mais au-delà des anglicismes eux-mêmes et des mots utilisés, c’est toute une culture de la gestion des ressources humaines qui s’implémente en France.
Dans le milieu associatif, ces méthodes de « management » font aussi leur apparition et sont, de mon point de vue, révélatrices de la manière dont on considère l’humain au travail.
Pierre-Olivier Dolino, ancien pasteur directeur de la Fraternité de la Belle de mai à Marseille et actuel Délégué général de la FEP, utilise plus volontiers l’expression « richesses humaines » en lieu et place de « ressources humaines ». J’aime beaucoup cette expression, car elle suppose que la personne est au centre du processus, n’est pas seulement une « ressource » à utiliser (parfois même jusqu’à épuisement), mais plutôt une richesse à préserver et dont il faut prendre soin.
Nos méthodes de « gestion » de ces richesses humaines devraient donc refléter, à minima, les valeurs de l’association et la manière dont nous souhaitons être en relation les uns avec les autres. Pour autant, cela ne veut pas dire que nous ne gérons rien, car il est essentiel de poser un cadre clair pour que chaque salarié-e puisse évoluer au sein d’une structure sécurisante qui respecte la législation du travail.
Mais, l’exercice n’a rien de simple. Je le pratique maintenant depuis de nombreuses années, à la Mission Populaire mais aussi dans d’autres structures associatives et je me heurte toujours aux mêmes difficultés. Bien sûr, généralement, les choses se passent bien avec une majorité de salarié-es qui ont conscience que leur travail a un « prix » particulier, le « prix » de l’humain justement. Souvent, ce sont de salarié-es très engagé-es, prêts à donner beaucoup, parfois trop même… Mais parfois cela grince un peu aussi avec des salarié-es qui n’ont pas envie que quelqu’un regarde la manière dont ils ou elles effectuent leur travail, ont font trop peu et le masquent habilement ou en font trop et s’épuisent.
Les employeurs sont rarement naïfs, mais sont souvent démunis dans des structures où la « culture » est en train de changer et dans lesquelles il faut reposer le cadre en restant bienveillant. C’est, je crois, les difficultés auxquelles se heurtent de nombreux employeurs associatifs : mettre de la souplesse, mais à l’intérieur d’un cadre clair et connu de tous et toutes. Par ailleurs, il y a assez peu d’enjeux d’argent, car les salaires ne sont, souvent, pas très élevés et cela a tendance à décupler les enjeux de pouvoir.
Personnellement je ne suis pas sûre de parvenir à « faire bien » et je me sens parfois très démunie face à des situations complexes qu’il faut pourtant accompagner au mieux. Je crois pourtant qu’il est essentiel de garder à l’esprit, même quand on doit mettre le doigt sur quelque chose qui ne va pas, que nous sommes dans une association dont les valeurs sont au cœur du projet… Je m’efforce donc – je n’y parviens pas toujours – de rester calme, de reposer le cadre, de garder de la bienveillance, de tenter de remotiver, de remercier,… Mais j’avoue que parfois cela m’empêche de dormir la nuit … que parfois je me mets en colère … que parfois je m’épuise à répéter les mêmes choses.
La gestion des richesses humaines n’est pas un long fleuve tranquille… C’est un fleuve traversé de courants contraires au cœur desquels il faut apprendre à naviguer !