Les nourritures pascales

Du pain sans levain aux œufs en chocolat, des rituels du Seder juif aux traditions chrétiennes du Carême, les fêtes pascales font dialoguer spiritualité et gastronomie. Dans les deux traditions, la nourriture ne se limite pas au plaisir des papilles : elle devient langage symbolique, mémoire transmise et espace de sacré. Plongée dans une histoire où le spirituel se goûte et se partage autour de la table.

Grande est l’importance accordée à la nourriture par les religions, mettant en scène par les sacrifices alimentaires la relation des hommes au divin et situant la pratique religieuse au cœur des repas quotidiens. Cela permettait d’investir le champ de l’intimité domestique, domaine souvent confié aux femmes dans bien des civilisations. Une façon d’intégrer celles qui étaient souvent exclues de la sphère publique ?

          Le judaïsme a établi très tôt une réglementation alimentaire sophistiquée détaillée dans le livre du Lévitique (le 3e livre de l’Ancien Testament): distinction entre aliments purs et impurs, combinaisons permises ou interdites, rituels de bénédiction des repas… Mais il est allé plus loin en proposant de vivre les célébrations de fêtes religieuses par le biais d’une véritable liturgie alimentaire. Ainsi, un repas de Pessah – la Pâque juive qui commémore la libération du peuple juif de sa servitude en Égypte – est un mémorial, dans lequel des aliments anodins deviennent porteurs de sens. Une assiette de Seder (repas pascal pris en famille) comprend rituellement des pains azymes (sans levain) rappelant les préparatifs du départ précipité d’Égypte, des légumes dont l’amertume évoque la dureté de l’esclavage, des fruits mélangés signifient le mortier utilisé par les ouvriers hébreux dans leurs travaux forcés, un os d’agneau, le sacrifice ordonné par l’Éternel et dont le sang badigeonné sur leurs portes préservait le peuple élu de la dixième plaie d’Égypte, etc. (lire Exode 12). Le fils de la famille est censé interroger le père sur la signification de ces mets, lequel lui répond par le récit de la Haggada (texte traditionnel relatant la sortie d’Égypte), assurant ainsi une transmission de génération en génération depuis des millénaires.

          Sur le plan alimentaire, le christianisme a mis plutôt l’accent sur les rythmes de consommation et a ritualisé des pratiques de jeûne. L’importance de la fête de Pâques célébrant la mort et la résurrection du Christ supposait de se différencier de la Pâque juive ; à quoi s’ajoutait la confrontation avec un héritage païen des rituels de renaissance de la nature au printemps. Le panthéon celto-germanique révérait une déesse de la fécondité nommée Eostre (ou Ostara), qui a donné son nom aux noms anglais et allemand de Pâques (Easter et Ostern). L’œuf fécondé, pondu, couvé et éclos a représenté très tôt un symbole très populaire de renaissance. Et comme le Carême médiéval en interdisait la consommation, les œufs accumulés pendant les 40 jours abondaient et sont donc devenus des présents échangés à l’occasion de la fête de Pâques. S’est greffée sur cette coutume l’habitude de les décorer, par exemple en rouge, pour évoquer le sang du Christ crucifié. Dans le monde germanique, c’est le lièvre de Pâques, animal attribut de la déesse Eostre pour sa fécondité qui apporte les œufs aux abords des maisons. Dans les pays latins catholiques, ce sont les cloches : silencieuses entre le Jeudi Saint et le dimanche pascal, elles vont se faire bénir à Rome et dans leur vol de retour, elles jettent et dispersent des œufs, que les enfants vont aller chercher dans les jardins.

Le repas pascal traditionnel pris en famille comprend un gigot d’agneau, référence devenue lointaine à un rite unissant juifs et chrétiens. Mais c’est le chocolat, répandu en Europe depuis l’Amérique centrale au 17e siècle qui trône à l’heure des desserts sous forme d’œufs, de poules et de lapins. Chocolat auquel bien de nos contemporains semblent vouer un véritable culte alimentaire et gourmand…

Jean Loignon