L’actuel pasteur directeur de la fraternité de la Belle de Mai à Marseille, Pierre-Olivier Dolino, est très engagé dans le dialogue interreligieux. Passé également par le Picoulet à Paris et par Le Foyer de la Duchère à Lyon, il nous raconte cette expérience vécue sur différents territoires.
J’ai toujours été intéressé par le dialogue interreligieux et plus largement interculturel. Déjà responsable louveteaux, je cherchais à animer les temps spi avec des textes bibliques et d’autres textes venus de différentes traditions.
Arrivé à la Mission populaire au Picoulet, Paris-Belleveille, j’ai eu la chance de participer à la création de la Fontaine aux religions, un collectif devenu association qui cherchait à promouvoir un dialogue interreligieux populaire dans le quartier. A côté des dialogues d’érudits et de responsables religieux débattant du sens théologique de telle ou telle notion, nous voulions proposer une rencontre concrète, existentielle, conviviale et festive.
Nous avions en effet remarqué qu’il était difficile de mobiliser les responsables religieux locaux, mais qu’il était encore plus difficile de mobiliser leurs communautés et de toucher les habitants du quartier. Pour plusieurs raisons : ils ne sont pas intéressés ou n’ont pas le temps, ils ne se sentent pas à la hauteur des débats ou considèrent que ce n’est pas à eux de s’exprimer en matière religieuse.
Mais plus fondamentalement, on sentait qu’il était difficile pour tout un chacun d’exprimer librement une opinion religieuse. Il faut des mots pour cela, et il est plus facile de réciter un catéchisme que de donner son propre point de vue, surtout sous le regard de ses coreligionnaires. Nous avons alors multiplié les occasions de rencontres et d’échanges : balades dans le quartier en “Tour du monde” pour découvrir l’histoire et les traditions de ce quartier multiculturel, repas partagés à occasion des fêtes religieuses…
De Paris à Lyon
Ayant quitté Paris pour Lyon et le Foyer protestant de la Duchère, j’ai plongé dans une longue tradition de dialogue. Le groupe Abraham y fait dialoguer chrétiens, juifs et musulmans depuis plus de 30 ans. Cette histoire s’ancre dans une histoire lyonnaise faite de dialogue et de rencontres. Il existait alors plus d’une vingtaine de groupes de dialogue dans toute l’agglomération lyonnaise. Cette dynamique vivante et riche nous a permis d’expérimenter bien des formes de dialogues. Tous les mois, des personnes se retrouvent pour lire les textes aux sources de leur tradition. Ces échanges souvent lumineux enrichissent notre compression commune, mais également personnelle. C’est là que j’ai compris que le dialogue, ce n’est pas simplement convaincre l’autre, mais c’est d’abord se convertir soi-même au regard de l’autre.
Tenter d’exprimer ses convictions face à une personne d’une autre religion ou d’une autre culture nécessite de sortir des lieux communs, de traduire ses concepts dans d’autres mots, d’autres images, et ainsi de les redécouvrir pour soi-même. C’est là aussi que nous avons ouvert le dialogue à d’autres convictions et parlé non plus de dialogue inter-religieux, mais de dialogue inter-convictionnel, pour donner une place aux athées, aux agnostiques et plus largement à “tous les chercheurs d’absolu” comme le dit la déclaration de Foi de la Mission populaire.
Direction Marseille
En France, le nombre de personnes se disant croyantes recule chaque année, en même temps qu’augmente l’intérêt pour les spiritualités. Tout le monde ne se dit pas croyant, mais tous ont des convictions. Ce sont celles-ci qu’il s’agit de mettre en dialogue, en développant toutes les formes possibles et imaginables de dialogue : théâtre-forum avec les jeunes de la MJC, ciné-débat à la bibliothèque, visites des lieux de cultes en lien avec les musées de Lyon, projets inter-radio sur la parole des jeunes… et pourquoi pas un jour ouvrir des écoles populaires de dialogue inter-convictionnel !
À Marseille, comme dans bien des domaines, le dialogue a été plus compliqué. D’abord, on m’a expliqué “Ici, c’est Marseille !”, ce qui veut dire que rien ne fonctionne comme ailleurs… À mon sens, cette expression sert surtout à masquer l’immobilisme et le conservatisme d’une ville qu’on a laissé volontairement endormie… A part “Marseille espérance”, la vitrine rassemblant les principaux représentants religieux choisis par l’ancien maire, et quelques structures catholiques, il y a peu d’espaces de dialogue à Marseille. A la Frat’, nous essayons donc de retisser des liens avec les personnes et les structures de bonne volonté. La fête de l’Iftar, le repas de rupture du jeûne de ramadan, célébré cette année en même temps que Pâques et Pessah, a été l’occasion de poser une nouvelle pierre dans ce jardin du dialogue. Espérons que ce soit le signe d’un réveil inter-convictionnel !
Pierre-Olivier Dolino, pasteur-directeur de la Fraternité de la Belle de Mai – Marseille.