Pourquoi des discours d’amour deviennent-ils paroles de rejet, de séparation, de haine ? Comment l’amour de la culture, des paysages ou de l’histoire de France devient haine des prénoms issues de la diversité et stigmatisation des banlieues populaires ?
Pourquoi le soucis de la planète et de la biodiversité glissent parfois dans la culpabilisation des générations précédentes ? Pourquoi la défense des libertés peut déboucher sur des incendies de centre de vaccination ou des agressions de pharmaciens ? Dans la Bible, on trouve des glissements tristement similaires.
L’Evangile de Jean – qui commence plein de poésie, insiste sur l’amour – déploie aussi une rejet des « juifs » qui a alimenté pendant des siècles l’antisémitisme chrétien. Pourquoi ? Parce que ceux qui écrivent cet Evangile sont les héritiers de ceux qui ont été rejetés de la synagogue en 70, après avoir refusé de rejoindre les autres juifs dans la révolte contre les romains. Expulsés du judaïsme, ils ne sont plus une religion reconnue et risquent à tout moment d’être réprimés par les autorités. Ils se cachent. Ils ont peur.
La peur est le premier ingrédient de ce glissement de l’amour à la haine : peur d’être déclassé et de ne plus avoir de « chez soi », peur d’une terre inhabitable, peur d’un virus et d’un monde totalitaire… S’y ajoute un autre ingrédient : la conviction de posséder la vérité. Dans l’Evangile de Jean, le mot revient sans cesse. Quand on a l’impression que tout bouge trop vite, s’accrocher à quelque chose qui a l’air solide. Si je suis dans la vérité alors l’autre est dans l’erreur et si j’en ai peur, toutes les catastrophes sont possibles. De l’amour, je peux glisser vers la haine la plus destructrice.
Un autre chemin
Martin Luther King nous a montré un autre chemin. Le mouvement des droits civiques n’avaient pas moins de raison d’avoir peur : MLK laissa sa vie dans ce combat, comme de nombreux militants, des enfants furent brûlés dans leurs églises, la police envoyait ses chiens contre les manifestants. Ils pouvaient légitimement penser qu’ils étaient dans la vérité et les tenants de la ségrégation raciale dans le faux. Ils résistèrent à la peur et au sentiment de vérité par l’amour. L’amour d’eux-mêmes et l’amour des ennemis. Ainsi, pour que l’amour ne devienne pas la haine quand il est pris dans les rayons de la peur et du sentiment de vérité, il faut en revenir à l’amour.
Dans nos débats sur la laïcité, sur l’évolution multi-culturelle de la société française, sur l’écologie ou le pass sanitaire, la réponse et la méthode sont la même depuis au moins 2000 ans : l’amour. Comme le dit Paul, à la fin « trois choses demeurent : la foi, l’espérance, l’amour ; mais c’est l’amour qui est le plus grand » (1 Corinthiens 13,13). Et seul lui qui nous fait grandir dans les épreuves.
Stéphane Lavignotte est pasteur, coordinateur de la Maison Ouverte (Montreuil, 93) et chargé de mission au secrétariat national en charge de la communication et du plaidoyer.
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