Stéphane Lavignotte, équipier de la Maison Ouverte (Montreuil, 93) raconte comment leurs marches méditatives rejoignent la recherche actuelle d’une nouvelle alliance des humains avec les autres vivants.
Le jeudi 27 mai, la Maison Ouverte va faire au Bois de Vincennes sa deuxième marche méditative, la première en juillet dernier ayant eu lieu entre deux parcs de Montreuil, un jardin associatif dans les anciens murs à pèche et dans la ville. Ces marches méditatives sont un peu nos cultes, dans un lieu qui les a arrêté lors de sa création en 1973. A l’époque, la paroisse protestante de Montreuil voit son temple détruit pour construire un centre des impôts. Très inspiré par mai 68, alors que se développe dans l’ERF le mouvement des « centres » (il en reste le Centre 72 à Bois-Colombes et le Centre 8 à Versailles…), il s’agit alors de créer un lieu pour toutes et tous les habitant.e.s où, selon sa charte, face à « l’oppression », on peut « ouvrir un dialogue non conditionné et libre », « où ceux qui refusent la passivité et l’isolement peuvent, seuls ou bien en groupe, et quelle que soit leur manière de s’exprimer, partager leurs activités, créer des contacts et manifester leur solidarité » (http://lamaisonouvertedemontreuil.ouvaton.org/a-propos-2/). Dans ce mouvement, selon la mémoire collective, les cultes sont arrêtés dès le début, sans doute symboles de l’ancienne forme religieuse, mais continuent les groupes de recherches bibliques et théologiques. On a alors réfléchi fort et de manière créative !
Mais le corps, les sentiments, les émotions ? Ils n’ont pas été oubliés puisque le lieu est aussi un lieu de culture. Il y a deux ans, nous avons essayé de travailler une nouvelle forme spirituelle qui n’engage pas que la tête lors d’un atelier qui cherchait à inventer un « non culte ». Nous avons débattu sur les sorcières, fait des cercles où l’on se tenait la main derrière le dos au niveau du coeur (un « cercle main-coeur »), dansé des danses traditionnelles italiennes mariales, fait des saintes-cènes-apéro… Mais cela ne nous a pas complètement satisfait : trop bizarre pour les uns, trop classique pour les autres… Trop proche des images du culte – apprécié ou déprécié – selon les personnes. Une fois qu’on sait ce qu’on ne veut plus, le monde des possible est vaste et il est difficile de s’y accorder dans une matière aussi personnelle.
Marche et nature
Au fil des rencontres et des discussions informelles est venue l’idée d’une marche méditative, qu’un petit groupe a inventé, partant de ses expériences. Toujours en partant de la Maison Ouverte, un enchaînement de marche en pleine conscience dans la ville, de moments de méditations face à une mare, de lectures de texte des Psaumes ou d’Albert Schweitzer devant des vaches, de moments de réflexion personnelle sur « où on en est ? »… La première en juillet a été appréciée et nous recommençons. Se sont cette fois inscrites des personnes que nous ne connaissons pas, qui ont eu l’info par notre lettre.
Il est significatif que c’est à la fois autours de la marche et de la nature que nous avons pu trouver une nouvelle forme spirituelle. Un activité physique simple qui prend tout le corps, du souffle aux muscles. Qui facilite l’abstraction des problèmes quotidiens par la petite concentration qu’elle facilite. La place de la nature rejoint tout un mouvement qui se développe de recherche d’un nouvelle rencontre et alliance avec le reste du vivant, faune, flore, sol… Dans les années 1970, l’écologie politique de Gorz, Illich ou Bookchin écologisait la critique sociale et politisait les rapports de la société à la nature. A la fin des années 1990 Philippe Descola ou Bruno Latour (retrouvant leur prédécesseur de vingt ans Serge Moscovici) invitaient à sortir des concepts mêmes de « nature » et de « société » (et des idées connexes d’« humain », « environnement », « économie », etc.) pour remettre l’humain parmi tous les vivants et ne plus considérer la « Nature » comme passive et extérieure. C’est ce qu’on appelle le « tournant non-humain » de l’écologie.
Des loups et des poulpes
Ces pensées ont beaucoup infusées. Les livres de Baptiste Morizot, partant de son engagement dans la protection des loups et la recherche d’une « diplomatie » qui permette leur cohabitation avec les éleveurs et les brebis, développe une pensée politique et philosophique utilement critique des théologèmes chrétiens. Vinciane Despret, après nous avoir introduit à ce que signifie habiter en oiseau nous invite à penser comme un poulpe.
Mais n’est-ce pas un peu trop irénique ? Léna Balaud et Antoine Chopot dans Nous ne sommes pas seuls1 racontent d’autres alliances interspecifiques, plus militantes, qui voient en Argentine, des cultures OGM envahies par des super-mauvaises herbes, immunisées des pesticides par contamination génétique que plantent de manière sauvage des communautés paysannes en lutte contre Monsanto. Sur la Loire, des naturalistes favorisent la présence d’un couple de balbuzards, espèce protégée, bloquant plusieurs mois par an le chantier d’un pont. De nombreux exemples rythment ce livre dans une critique du « tournant non-humain » évoqué à l’instant. Si Bruno Latour invite à une composition, une négociation au sein d’un « parlement des choses », Balaud et Chopot s’inquiètent de l’oubli des rapports de force, expliquent que le capitalisme a aussi son agencement éco-politique (charbon, pétrole ou espèces de la monoculture enrôlés, « services éco-systèmiques » et « capital naturel ») et revendiquent à la suite de Jacques Rancière le différent qui fracture le consensus et le développement d’alliances interspécifiques, de géo-classes – naturalistes et balbuzard – contre la mise au travail des non-humains et pour l’émancipation des humains. Née une nouvelle communauté politique et une nouvelle spiritualité.
Et nous en ville ?
Autre limite des récits de loups, de poulpe et de balbuzards pécheurs, s’ils sont inspirants, ils sont difficilement reproductible pour le commun des mortels urbains. Nos marches méditatives se rapprochent davantage de ce que Jean-Philippe Pierron appelle les écobiographies. Le titre de son livre Je est un nous2 dit bien qu’à la réponse « Qui suis-je ? », en plus de nos histoires de papa, maman, enfants, boulot, il y a des arbres, des rivières ou des oiseaux qui chantent le matin dans la rue de notre enfance. Il fait dialoguer son autobiographie personnelle – une famille de forestier, l’amour du ski et la mauvaise conscience écologique qui va avec – avec celles d’Albert Schweitzer (encore lui !), Gaston Bachelard, Ulysse, Rousseau…
Il est intéressant de remarquer que la plupart des participant.e.s à nos marchent méditatives contribuent aussi au groupe de recherche biblique, sont souvent engagés par ailleurs d’un point de vu militant. Il y a donc sans doute le désir d’une complémentarité des modes d’être (réfléchir, militer, ne pas oublier corps et sentiment) et la recherche de lieux de ressourcement pour les engagements. Ce sont des femmes : où sont les hommes ? Qu’est-ce que ça dit ? Et comme souvent à la Mission populaire, elles sont agnostiques, catholiques, juives (ou d’origine), minoritairement protestant mais intéressés par la Bible… Pour l’instant, difficile de tirer plus de leçons de nos marches méditatives…. On avance en marchant !
Stéphane Lavignotte est pasteur et coordinateur de la Maison Ouverte de Montreuil, 93.
1 (Léna Balaud et Antoine Chopot, Nous ne sommes pas seuls, Editions du Seuil, collection Anthropocène, 2021, 21.50 €, 432 pages )
2Jean-Philippe Pierron, Je est un nous, Actes Sud, Monde sauvages, 169 pages, 29 euros.
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