Nous vivons une époque fantastique : grâce aux découvertes incessantes dans les sciences et les technologies, nous sommes aujourd’hui capables d’aller à l’autre bout du monde en moins d’une journée et de communiquer avec n’importe qui et à n’importe quel endroit du monde sans aucun délai. Fascinés et encouragés, à juste titre, par toutes ces merveilles, nous en usons et, surtout, en abusons. Loin de nous faciliter la vie, comme espéré initialement, nous en demandons plus et on nous en demande toujours plus, et toujours plus vite. Il est sans doute très pertinent que le jeu vidéo Civilization 4 ait choisi le haletant foxtrot The Chairman Dances de John Adams (né en 1953) pour illustrer l’entrée dans l’ère moderne.
Je suis reconnaissant d’avoir eu une formation musicale et d’avoir eu le privilège de l’approfondir. La pratique instrumentale est une école particulièrement enrichissante par sa rigueur et sa constante nécessité d’un travail méthodique et régulier. Quelles que soient nos éventuelles facilités, l’apprentissage d’un instrument exige de prendre le temps de le travailler. Nombre de mes amis – et moi-même – qui ont décidé de se réorienter dans une voie moins artistique témoignent souffrir d’une sorte de décalage avec ce nouveau monde du travail : on remplace le sens par l’utile ; on encourage la précipitation plutôt que la réflexion… Bref, on découvre une société plus pressée et, toutefois, souvent beaucoup moins efficace.
L’éloge de la lenteur est sans doute une part importante de notre culture française, comme la célèbre citation de Boileau nous l’enseigne[1] et dont Talleyrand[2] fut l’un des plus grands maîtres. Pourtant, c’est aux Etats-Unis que je fais chercher ici leçon, inspiré par l’un des auteurs le plus représentatifs des philosophes transcendantalistes, Henri David Thoreau : « Tu dois vivre dans le présent, te lancer au-devant de chaque vague, trouver ton éternité à chaque instant. » Vivre dans le présent : qu’est-ce et pourquoi ? Le compositeur Charles Ives (1874-1954) fut un fervent admirateur de la pensée transcendantale et nous propose une interprétation musicale avec The Unanswered Question : tandis que l’orchestre à cordes crée un univers parfaitement paisible et, surtout, imperturbable, la trompette pose La Question à laquelle le quatuor de flûtes tente désespérément de répondre. Ainsi, se sentant perdus dans le silence abyssal de l’univers, nous tentons de répondre à la question du sens de la Vie. Comme ces flûtes, nous nous frustrons à chercher vainement, dans la confusion et la complexité. Pourtant, la question subsiste et, peut-être, La Réponse existe-t-elle dans la simple écoute de ce « silence » qui, quoi qu’il se passe, est toujours présent.
Le compositeur John Adams n’est sans doute pas un disciple des philosophes de Concord, toutefois, avec l’arrangement du chef d’orchestre Edo de Waart, il apporte également sa part dans notre étude avec le deuxième mouvement de son American Standard : « Christian Zeal and Activity ». D’abord, par une interprétation très contemplative de l’hymne Onward, Christian Soldiers composé par Arthur Sullivan (1842-1900), John Adams nous invite à une écoute silencieuse et attentive avant que le prêcheur ne prenne la parole – extrait sans doute d’une intervention enregistrée de l’évangéliste Billy Graham : il évoque l’histoire de la guérison de l’homme à la main paralysée, rapportée notamment dans Matthieu 12:9-13. Là encore, une question : « Pourquoi Jésus a-t-il guéri cet homme à la main flétrie, là dans la Synagogue, et le rend de nouveau entier ? ». Néanmoins, le pasteur veut apporter une réponse : « Mais je crois que cette même histoire a un message pour vous et moi, même ici-bas où nous vivons. Maintenant, je crois que Jésus-Christ n’a pas seulement guéri cet homme dans la synagogue qui avait la main sèche. Et je crois que ce même Jésus est présent par la puissance du Saint-Esprit. »
Malgré les bruits et les précipitations du monde, il apparaît que si l’on veut trouver La Réponse, il faut d’abord pouvoir se poser La Question. Si elle reste sans réponse, peut-être est-ce parce que l’on ne prend pas le temps d’écouter ce qui a toujours été là, d’écouter ce silence qui, paradoxalement, est très parlant. Probablement est-il rempli du sens après lequel on court vainement. Pour terminer son ballet Appalachian Spring, Aaron Copland (1900-1990) nous laisse avec la belle image d’un couple fraîchement marié qui s’installe, avec calme et force, dans leur nouvelle maison au milieu des grands espaces du Nouveau Monde récemment conquis, rempli d’une promesse de paix et de bonheur dans la simplicité.
[1] « Hatez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. » Nicolas Boileau-Despréaux.
[2] « Je ne me suis jamais pressé ; je suis toujours arrivé à temps. » Charles Maurice de Talleyrand.