Evolution de la louange – épisode 6, partie 2

En France : toute la musique au service du théâtre politique

Le gallicanisme est évidemment un point sensible dans les relations diplomatiques entre l’autorité papale romaine et l’autorité absolue de la monarchie française. La liturgie reste très conservatrice. La politique œcuménique d’Henri IV aurait pu insuffler une dynamique nouvelle dans la liturgie du culte romain en France ; il n’en est rien, justement pour des questions politiques. Le Bon Henri passe pour un monarque n’entendant rien à la musique, comme l’affirme le cardinal Du Perron[1]. Cependant, Pierre de L’Estoile rapportent quelques anecdotes témoignant d’un monarque appréciant, en privée, la musique et surtout le chant, et plus encore du chant de psaumes[2]. La musicologue Isabelle His commente : « Pour s’être converti au catholicisme, Henri n’a certainement pas oublié les psaumes huguenots qui ont bercé sa jeunesse, et tout roi qu’il est, lorsque l’occasion s’en présente, il ne résiste pas au plaisir de joindre sa voix à celle de ses coreligionnaires. » Son premier Compositeur de la Chambre royale est un huguenot déclaré, Claude Le Jeune (c.1530-1600). Celui-ci compose pour le lendemain du sacre d’Henri, en février 1594, un magnificat. La Chapelle royale continue à se plier à la discipline définie ous Henri III, avec des chants en antiphoné avec la Chapelle de Notre-Dame (verdict à l’image de Salomon face à une rivalité directe entre les deux chapelles). Néanmoins, il est surtout d’usage de louer d’abord le roi. C’est ainsi que dans des chants de Noël il soit fait directe référence au mariage d’Henri avec Marie de Médicis, espérance de la naissance d’un héritier. On peut toutefois citer les Pseaumes en vers mezurez composés par Le Jeune, sur des paraphrases de psaumes de Jean-Antoine de Baïf ou d’Agrippa d’Aubigné.

Psaume 88 O Seigneur, J’espars, vers d’Agrippa d’Aubigné, musique de Claude Le Jeune, par les Pages & les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, sous la direction d’Olivier Schneebeli.

Sous le règne du Roi-Soleil, l’audition de l’office est indissociablement religieuse et politique. Jean-Yves Hameline analyse qu’il y a « glissement constant de la situation du simple fidèle à celle de Monarque, et la recherche d’un lexique monarchique aux sonorités françaises, comme l’inévitable Psaume 19[3]. »[4]

Motet Domine, salvum fac regem de François Couperin (1668-1733) par Monique Zanetti et Michel Laplénie sous la direction de Bernard Coudurier.

En Angleterre : les anthems

Après Cromwell, la culture musicale anglaise reste confuse. La Restauration (1660) de Charles II se veut imiter les éclats de la cour française et les exubérances des musiciens italiens. Il est alors difficile pour les artistes anglais de trouver leur place. John Blow (1649-1708), organiste de l’Abbaye de Westminster, est le premier à se démarquer. C’est toutefois son élève, Henry Purcell (1659-1695), qui réussira à retrouver un véritable style anglais, notamment dans la liturgie anglicane. Selon le musicologue Jean-François Labie, « l’œuvre d’église de Purcell [est] l’expression la plus parfaitement équilibrée de l’anglicanisme. On y sent le désir de créer une liturgie solennelle et luxueuse tout en prenant de la distance en face du triomphalisme de Rome. »[5] Tout comme dans ses œuvres dramatiques, dans lesquelles il excelle, on ressent dans ses hymnes et psaumes ses talents de mélodistes encore valorisés par une maîtrise de l’harmonie qui sait émouvoir.

Remember not, Lord, our offenses Z50 de Purcell par le Dorian Chamber Orchestra & Choir sous la direction de Samuel Huston.

Pour que le style musical anglais se développe, il faudra un étranger ; pour que la musique liturgique anglicane atteigne un niveau supérieur, il faudra un luthérien : ce sera George Friedrich Haendel (1685-1759). Celui-ci était venu en Angleterre pour faire fortune en y apportant l’opéra italien. La tâche ne lui fût pas facile, mais cet entrepreneur de génie sut s’adapter à son public. Il sut notamment proposer des oratorios en prenant sujet des histoires bibliques. Non seulement les héros de l’Ancien Testament inspirent des sujets fantastiques avec rebondissements, « la bourgeoisie londonienne connaît sa Bible et se passionne pour une histoire qui lui est familière et dans laquelle elle se sent impliquée. »[6] On ne peut évidemment pas ne pas penser à son Messiah[7], preuve ultime de sa foi aussi profonde que sincère.

Israël in Egypt de Haendel, arrangé par Félix Mendelssohn, par le King’s Consort sous la direction de Robert King[8].

Haendel compose également des cantates anglicanes, que l’on appelle des anthems. On peut notamment citer les onze Chandos Anthems, commandes du duc de Chandos sur des textes extraits des psaumes traduits dans le Book of Common Prayer. Dans le n°10 « The Lord is my light », le compositeur exalte la puissance de Dieu, qui aide ses fidèles à vaincre leurs ennemis ; ils l’en remercient par leurs louanges et désirent habiter pour toujours dans sa demeure.

Chandos Anthem n°10 « The Lord is my Light » de Haendel par l’ensemble The Sixteen sous la direction de Harry Christophers.

[1] BOUCHER Jeanne, La Cour de Henri III, Rennes, 1986, p.127.

[2] DE L’ESTOILE Pierre, Mémoires-Journaux, Paris, 1982, p.82.

[3] Psaume 20 dans la numérotation hébraïque, verset 10 : « Eternel, sauve le roi ! Qu’il nous exauce, quand nous l’invoquons ! »

[4] HAMELINE Jean-Yves, « Chanter Dieu sous Louis XIV » in Regards sur la musique au temps de Louis XIV, Versailles : Centre de musique baroque de Versailles, 2007, p.47.

[5] LABIE Jean-François, « La musique anglaise après Cromwell : Henry Purcell » in Histoire de la musique occidentale, Paris : Fayard, 1985, p.443.

[6] Ibidem.

[7] On peut conseiller notre brève étude comparative de versions de ce monument de la musique Baroque : « Car un enfant nous est né ».

[8] Nous conseillons la lecture du compte-rendu de ce concert, ouverture du festival de la Chaise-Dieu en août 2018 : « L’éclatante fresque chorale d’Israël en Egypte ouvre La Chaise-Dieu 2018 ».