Face à une personne

L’univers carcéral est bien naturellement « mal » perçu par la grande majorité de la population.

« Mal » perçu à double titre : d’abord parce qu’il rassemble des délinquants et des criminels mais aussi parce que peu de personnes ont l’occasion d’y pénétrer, d’en connaître le quotidien de la vie des personnes détenues et surtout de les rencontrer.

Aussi les interrogations ne manquent-elles pas de nous être soumises lorsque nous parlons de notre expérience d’aumônier au cours d’une discussion, d’un débat ou d’un exposé.

Celle qui nous est le plus souvent posée est : « Pourquoi passez-vous tant de temps avec des individus qui ont tué, violé, … ? » et celle ou celui qui pose la question peut indifféremment être croyant ou athée, homme ou femme, CSP+ ou non, … Il ou elle poursuit : « ils méritent d’être punis et privés de liberté. Au moins tant qu’ils sont derrière les barreaux ils ne nuiront pas, la sécurité de chacun exige que ces personnes soient isolées et neutralisées ». Le terme « neutralisé », employé consciemment ou sans intention particulière fait d’ailleurs froid dans le dos : c’est l’euphémisme habituellement utilisé dans les opérations militaires pour indiquer que la cible, l’ennemi a été tué !

Toujours dans le même ordre d’idée, mais orientée vers une catégorie précise de crimes, la question est posée sur les auteurs de viols ou de féminicides ou plus généralement de violences faites aux femmes. Récemment une étudiante en théologie, engagée dans les mouvements de défense et de protection des femmes agressées, me demandait : « comment pouvez-vous aller visiter et écouter des hommes qui ont assassiné leur compagne, ou ceux qui ont violé ? Pensez-vous à leurs victimes ? Aux souffrances des proches de leurs victimes ? ».

Un ami, avant de s’engager dans l’activité de visiteur de prison, m’avait interrogé sur la  prison. Sa motivation était simple : aller dans ces lieux de détention pour avoir, sur cette population pénale, un autre regard que celui communément rencontré. Après ses trois premières visites je lui demandais très récemment si son regard avait évolué. « Comment ne le pourrait-il pas, m’a-t-il répondu, dès que tu es face à une personne, que tu la rencontres ton regard est changé».   

Les appréciations négatives que je rapportais plus haut me paraissent bien normales et je ne m’insurge pas quand je les reçois. Le besoin de sécurité tout d’abord, le sentiment d’injustice ensuite qui accompagne la compassion envers les victimes et l’impossibilité de « rencontrer », pour mieux les connaître, délinquants ou criminels expliquent presque totalement ces réactions de rejet. Elles me paraissent naturellement humaines. Mais je suis aussi convaincu que nous ne pouvons-nous en rester là. Ces personnes détenues font encore partie de notre communauté citoyenne, même s’ils ont donné de sérieux coups de canifs au tissu social. Il n’est pas question ici de chercher des excuses à ces actes parfois difficilement qualifiables. Mais des explications oui, non pour octroyer un pardon mais pour ramener l’auteur des actes dans la famille humaine et prévenir leur récidive.   La question du pardon, longuement abordée en philosophie comme en théologie, est un sujet à traiter seulement après avoir fait l’effort d’avoir cherché à comprendre.