Des détenus se confient à un psychiatre

Dans une maison d’arrêt, des détenus se confient à un psychiatre.

«Je me sens mieux depuis que je ne prends plus le traitement», m’explique Monsieur B. âgé de 37 ans. Depuis l’âge de 21 ans, il a été hospitalisé à plusieurs reprises en psychiatrie, dont l’une, qui s’est déroulée dans un service pour malades difficiles et violents, a duré un an et demi. Nous reparlons une fois de plus du traitement qu’il refuse de continuer à prendre, de son délire de persécution et des voix qu’il entend en permanence. Il me répète qu’aucun traitement n’est nécessaire car il ne se sent pas malade. Néanmoins, à l’issue de l’entretien, il accepte de revenir me voir la semaine suivante, pour reparler une énième fois de ses symptômes : «elles me chuchotent dans l’oreille, elles m’insultent, elles me disent de me pendre, parfois de me couper les veines».

«Merci beaucoup docteur, ça m’a fait  du bien, cette hospitalisation. Tout est rentré dans l’ordre, mais je voudrais juste un somnifère». Monsieur M., 21 ans, a été hospitalisé en urgence la semaine dernière pour un état délirant aiguë. Il avait l’impression que les surveillants et ses codétenus le surveillaient, et avaient placé des micros et des caméras dans sa cellule. Revenu hier d’hospitalisation, il ne montre plus le moindre symptôme pathologique. Nous avons refait le déroulé des jours qui avaient précédé son hospitalisation, et au bout d’une demi-heure, il a fini par accepter le fait que son abus de consommation de cannabis l’avait mis dans cet état. «Mais vous comprenez docteur, c’est la prison, je reste éveillé toute la nuit si je ne fume pas, j’en ai besoin pour dormir».

«Non, je n’en ai pas besoin», me répond Monsieur C., 33 ans, quand je lui demande des nouvelles de sa santé et que je le questionne sur son hygiène et sa prise de douche. Il ne prononcera aucune autre parole tout au long des vingt interminables minutes de notre entretien, rendues particulièrement pénibles par les odeurs de transpiration et d’urine qui se dégagent de ses vêtements. C’est sa quatrième incarcération en huit ans, et autant d’hospitalisations en psychiatrie. Entretemps, il vit à la rue. Il n’a plus aucun lien avec sa famille depuis des années, et n’a de contact avec des personnes que lorsqu’il est amené à l’hôpital, contre son gré, par les services de police ou du SAMU social. Malgré les efforts de mes collègues médecins et infirmières, il ne reste jamais plus de quelques jours dans le service, puis il retourne à sa vie d’errance dès qu’il en a l’occasion.

«Ma sœur va bientôt revenir avec le billet d’avion, elle vous remercie docteur». Monsieur B., âgé de 44 ans, attend sa prochaine libération. Lors de sa détention, il a pu renouer des contacts avec sa sœur, qui vit à l’autre bout de la France, grâce à sa conseillère d’insertion et de probation et moi. Nous avons échangé de nombreux coups de fils, pour mener une enquête digne de Sherlock Holmes sur ses origines. Atteint d’une maladie génétique rare, souffrant d’un retard mental, il a erré de squat en squat aux quatre coins de la France, car, m’explique-t-il, «j’avais perdu les clé de mon appartement». Sa sœur, qui avait signalé sa disparition à la police trois ans plus tôt, va le raccompagner chez leurs parents, qui vivent sous les tropiques.

«Si je ne peux pas rentrer chez moi, je me suicide. Ca fait onze mois que je n’ai pas pu appeler ma femme et mes enfants, je n’en peux plus». Monsieur A, 42 ans, est un matelot d’origine du sud-est asiatique. Le navire sur lequel il était embarqué a été immobilisé car vétuste et dangereux. L’armateur ayant disparu après l’arraisonnement, lui et ses amis ont été incarcéré à la suite d’une rixe qui avait éclaté sur le navire. Ils n’avaient pas d’argent pour rentrer chez eux et s’en étaient pris violemment à deux des officiers. «L’ambassade est venu nous voir la semaine où on a été enfermé. Depuis, plus rien. Je ne sais même pas si ma femme sait que je suis ici».

«Il m’a dit que c’était comme des câlins, que j’étais son petit frère et il était mon grand frère», me dit Monsieur B., 35 ans. Après quelques hésitations, il m’explique qu’il a décidé de porter plainte contre son codétenu qui lui a fait subir des attouchements sexuels et voulait le forcer à avoir des rapports sexuels. «Il a dit que c’était comme ça dans toutes les familles. Mes parents sont morts quand j’avais sept ans, c’est mon oncle et ma tante qui m’ont élevé». Je lui prescrit un traitement somnifère, je rédige le certificat qu’il me réclame, pour le joindre à sa plainte, puis je lui propose un café, qu’il accepte du bout des lèvres. Nous le buvons en silence, jusqu’à ce que le surveillant de l’unité médicale vienne me prévenir que mon prochain patient est arrivé et m’attend.