Melone Blu

A Paris, le théâtre 13 présentait jusqu’au 22 septembre un conte écologique retraçant le destin de la famille Verduro.

Voltaire et les précurseurs des Lumières inventaient il y a trois cents ans le conte philosophique. Aujourd’hui naît le conte écologique au Théâtre 13, dans l’Est parisien. La différence ? Autrefois, étaient critiqués les us et coutumes. Aujourd’hui, la compagnie La Poursuite du Bleu, à travers le texte mis en scène par Samuel Valensi, retrace la tragédie de notre siècle. Ici, la technologie des hommes est si fonctionnelle et puissante qu’elle nous conduit à l’épuisement de nos ressources. Grosse thématique, lourde d’actualité.Tous le monde en parle, on passe nos week-ends dans des ressourceries à fabriquer des tote-bags sur des canapé en bois de récupération, et les événements portent sur leur affiches le nom d’éco-responsable-citoyen-bio-éthique-quiprendsoindelaterre. Au niveau de la prise de risque face au public bobo-théâtro du treize, on a mis quelques coussins sur les filets qui nous rattraperons au vol. D’ailleurs c’est même le sujet principal du manifeste de Colette Nucci, directrice du théâtre 13 qui présente la saison : « Et pour consommer on a consommé, avec frénésie, (…) et la canicule que nous avons subie en juin nous rappelle (…) une réalité qui menace la survie de notre espèce si nous ne faisons rien.». Terrain facile donc, mais nécessaire d’y cultiver les consciences.

Des cordes suspendues, un plancher mouvant, tables et tabourets en palette, c’est dans un décor humble et épuré, à l’image de la famille Verduro, pécheurs en salopettes bleus et bonnets rouges, un peu co-co, que commence la légendaire histoire du Melon Blu. Les commerces meurent, la pêche n’est pas bonne et l’institution politique régionale n’a aucune solution valable à proposer. Mais une tempête lors d’une pêche en mer changera le destin de la famille Verduro…. et même la face du monde. Echoué sur une île déserte, Felice Verduro découvre l’existence d’un melon bleu. Plus précieux que l’or et plus utile que le pétrole, ce fruit a toutes les vertus du monde. Fini la pêche infructueuse, place au maraîchage. Très vite, la commercialisation du Melon Blu est un succès sans précédent, ce qui fait grossir l’entreprise. Toute sa vie d’arrache-pied, Felice travaillera de ses mains. Il mourra dans les bras de son fils qui prendra la succession de l’entreprise. Pour sa part, son fils rêve d’un peuple émancipé de la souffrance du travail.

Pour que la récolte se fasse toute seule, il inventera « aqua-motus », une machine à tout faire nécessitant seulement comme carburant de l’eau de mer et de l’alcool de melon bleu. Un monde parfait sans douleur s’offre à l’humanité. Mais cette utopie a ses limites : quand le petit-fils cadet reprend la multi-nationale qu’est devenue la petite entreprise de Felice Verduro, tous va plus vite, tous s’accélère, les aqua-motus sont de plus en plus performants, des serres ventilées sont conçues pour vaincre les saisons. Au nom de la croissance, ce melon bleu doit être cultivé sous toutes les conditions.

Raconter une utopie, une histoire imaginaire, pour mieux parler de nous-mêmes lorsque ne savons plus où nous en sommes, voilà l’ingénieuse idée de Samuel Valensi qui porte sur la condition humaine un regard d’enfant sans jugement ni colère. Nous pouvons d’ailleurs comparer les épisodes que vivent les protagonistes aux périodes que nous avons nous-même traversé ces dernières décennies : la révolution industrielle, la course folle au progrès jusqu’à la nécessité absolue d’une décroissance. La compagnie La Poursuite du Bleu nous fait traverser cette épopée transgénérationnelle avec dynamisme, non sans un humour burlesque qui nous accompagnera le long de la pièce. Les scènes bouffonnes des ouvriers soûlés à la liqueur de melon bleu valent le détour, les entretiens incompréhensibles entre les politiques des institutions régionales un peu moins. Les mêmes acteurs qui jouent les ouvriers incarnent avec panache et vérité leurs rôles de rivaux aux convictions diamétralement opposées. Aussi, les tendres scènes d’amour naissant sous le regard des astres dans un jeu entre les cordes et les lumières bleutées nous font respirer quelques temps dans cette course folle à l’industrie du melon.

Bien que cela soit dans une sincère volonté d’être à impact durable, on est un peu déçu par l’aspect gadget de ce spectacle qui se veut « recyclable ». Le côté on mange bio en répet’, et planter votre flyer ça vous fera des coquelicots à mon goût dessert et prend beaucoup de place à la présentation d’une œuvre d’art.