De retour à son domicile, le pasteur Samuel Peterschmitt fait le point sur la crise traversée par l’Église Porte ouverte de Mulhouse et appelle les chrétiens à rester solidaires.
Lors de la semaine de jeûne et prière organisée du 17 au 21 février dernier, vous avez été touché par la coronavirus, puis hospitalisé une quinzaine de jours. Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Écoutez, je vais bien mieux. Deux mois après l’apparition de la maladie, je ne rencontre pas de difficulté pour marcher. Mais si je souhaite avancer un peu plus rapidement, je continue à me sentir essoufflé. C’est long ! Et j’imagine comment la récupération doit être difficile pour les personnes qui ont du subir une intubation ou ont été plongés dans le coma. Moralement, malgré tout ce que l’Église a traversé et une profonde tristesse à l’égard des familles endeuillées, je vais bien.
L’Église Porte ouverte de Mulhouse a été pointée du doigt par certaines autorités politiques et médiatiques comme responsable de la propagation du virus. De votre côté, vous sentez-vous coupable ?
Non, je peux pas me sentir coupable de ce que tous les Français ignoraient y compris le président de la République. Le mardi même de la semaine de jeûne et prière, Emmanuel Macron était à 300 mètres de notre église, à Mulhouse. Il serrait des poignées de mains, faisait des selfies. Bref, il agissait comme tous les Français qui à cette époque-là n’étaient pas conscients que le covid-19 circulait déjà sur le territoire. Une situation semblable à celle des États-Unis où suite à des autopsies d’une grippe atypique, on s’est rendu compte que le covid-19 était en circulation quinze jours plus tôt que l’on l’avait imaginé et cru être le patient zéro. Nulle part, je n’ai enfreins la loi, ni aucune interdiction. Mon regret le plus profond, c’est que le mécanisme d’avertissement n’a pas fonctionné. Évidemment, si nous avions été avertis que le coronavirus était déjà présent, nous aurions pu être proactifs et vigilants. Et nous l’avons été dès que nous l’avons su en annulant toutes les rencontres qui devaient avoir lieu. A cause de cette communication tardive, nous avons des amis qui sont décédés.
Votre église a été prise pour cible et a été victime harcèlements sur les réseaux sociaux, par courriers postaux, appels téléphoniques… Comment expliquez-vous cette escalade de violences ?
Comme nous avons été les premiers à signaler à l’Agence régionale de santé (ARS) que quelque chose d’anormal se passait au milieu de nous, tous les projecteurs se sont fixés sur Porte ouverte. Tout de suite, dans les médias, on a parlé de notre communauté comme d’un « cluster », de la « porte ouverte au virus en France »… Ce qui évidemment a participé à la stigmatisation de notre église et a déclenché la colère et l’incompréhension parmi de nombreux de nos concitoyens. Malheureusement, cette situation s’est traduite très rapidement par de la haine et des menaces très graves. Par exemple, circulait l’idée de brûler notre bâtiment ou encore de ne nous éliminer à la kalachnikov. Des paroissiens ont reçu directement des messages de haine et d’autres ont été malmenés sur leur lieu de travail par leurs collègues. Toutes ces conséquences se sont rajoutées à la souffrance que nous avions déjà puisque nous sommes parmi les premiers à avoir été des victimes en France du virus. Pour moi, simplement, il y a deux raisons à cette haine. La première, c’est la peur du virus. Et lorsque les personnes ont peur, elles ont des réactions de violence comme en témoignent toutes les pandémies au cours de l’histoire. Il y a aussi peut-être une deuxième catégorie d’individus qui ont profité de la polémique pour régler leurs comptes avec la communauté évangélique qu’ils n’appréciaient déjà pas.
Si vous pouviez gérer vous-même la communication de votre Eglise, comment la présenteriez-vous au grand public ? Que doit-il retenir au sujet également de la semaine de jeûne et prière ?
L’Église Porte ouverte est une église évangélique qui s’inscrit dans le courant de la Réforme. En Alsace, l’histoire des évangéliques est très ancienne puisque mon grand-père, mon propre père et mes oncles étaient mennonites. Nous ne venons pas d’apparaître dans la région et nous sommes bien intégrés au sein de notre quartier. Notre église pentecôtiste organise le rassemblement de jeune et prière depuis plus de 25 ans. Durant ce rendez-vous annuel, nous nous rassemblons pour louer Dieu, chanter, prier et écouter la parole du Seigneur. Au fil des années, cette manifestation a pris de l’ampleur et beaucoup de personne appréciaient y participer y compris en dehors de la communauté.
A vos yeux, qu’est-ce qui fait la beauté de Porte ouverte ?
Ce qui me réjouit dans l’Église, c’est la joie que les paroissiens ont à y venir pour louer Dieu. C’est de voir aussi le nombre de personnes dont la vie est transformée. C’est ça ma joie. La joie de voir que pendant la semaine ou dimanche, les personnes viennent avec le sourire.
Votre communauté a été gravement touchée par le coronavirus et enregistre une vingtaine de décès. Comment arrive-t-elle à faire le deuil de ses membres dans ces conditions si particulières ?
C’est extrêmement difficile ! Vous imaginez bien à quel point on peut être attaché à des personnes qui nous quittent d’une manière aussi subite. J’avais des amis qui étaient avec moi depuis 30 ans et soudain ne sont plus. Je visitais avant-hier une dame dont le fils de 47 ans est décédé. Nous avons fait les obsèques avec son mari. Et huit jours plus tard, elle enterrait son mari. Je vous laisse imaginer la souffrance que peut engendrer une telle situation. Tout d’abord, lorsque des obsèques ont lieu, un de nos pasteurs est toujours présent. Ce qui est douloureux c’est que nous ne pouvons pas rendre hommage ensemble à tous ces paroissiens. Dès que les rassemblements seront de nouveau possibles, la première chose que nous ferons sera un culte d’adieu pour tous ceux qui sont partis. Ce qui nous permet actuellement aussi de tenir, c’est un profond élan de solidarité. Les plus jeunes d’entre nous appellent régulièrement par téléphone toutes les personnes âgées pour leur donner un coup de main. Il y a aussi des assistantes sociales qui soutiennent les veuves perdues dans les démarches administratives. Il a été proposé aux personnes travaillant dans le milieu médical des services de baby-sitting. Cette vague d’entraide est extraordinaire tout comme l’est la vague de prières actuellement en cours. Lors de conférences téléphoniques, les paroissiens se réunissent pour prier ensemble et se soutenir de différentes manières. Toutes ces formes d’entraide font partie de ce qui me console et m’encourage.
Avez-vous été épaulé dans cette épreuve par la communauté protestante ?
Oui ! Immédiatement, la Fédération protestante de France (FPF) par le biais en particulier de son secrétaire, m’a envoyé un courrier de soutien, puis est intervenu auprès de l’Assemblée nationale suite aux dérapages malheureux de certains hommes politiques. Nous avons aussi reçu un grand soutien du Conseil national des évangéliques de France (CNEF), qui s’est montré très présent pour nous secourir, nous aider et nous conseiller notamment en matière de communication. Ils ont été précieux à l’égal des milliers d’anonymes qui nous ont écrit. Vous savez, les amis c’est comme les étoiles, c’est quand le ciel s’assombrit qu’on les voit vraiment. Ces anonymes nous ont écrit qu’il fallait que nous tenions bons, que nous n’étions pas responsables de la propagation mais qu’un maillon dans la chaîne. Encore tout à l’heure, j’ai reçu une vidéo sur laquelle des personnes habitant aux quatre coins de la France m’encourageaient à ne pas nous laisser abattre. On a eu aussi de très beaux soutiens de la part des autres églises évangéliques françaises. Pour résumer les choses, le pasteur d’une église baptiste m’écrivait en me disant que si un membre du corps était touché, c’est tout le corps qui souffrait avec lui. Je bénis Dieu pour cette manière qu’ont eu les uns et les autres d’exprimer cette solidarité.
Vos confrères catholiques se sont-ils aussi manifestés ?
J’ai, entre autres, un ami prêtre au sein de la paroisse voisine qui me disait qu’il était confiné avec deux de ses confrères et qu’il priait tous les matins pour moi. Un autre prêtre m’a écrit de Bordeaux pour dire qu’il suivait régulièrement nos cultes en direct et qu’il était de tout cœur avec nous.
Dernièrement, votre fils, Jonathan Peterschmitt, médecin de profession, a publié un manifeste intitulé « De la responsabilité en contexte pandémique », afin de répondre aux accusations prononcées à l’encontre de votre l’église. Qu’espérez-vous de son action ?
Mon fils a fait cette démarche en tant que médecin. Ce n’est pas au nom de notre communauté qu’il a publié ce manifeste. Ceci dit il est évident que l’histoire même du virus et de sa propagation sera importante pour rétablir la responsabilité des rôles de chacun. Le rappel des faits qu’il réalise au sein son manifeste pourra aider par la suite. Je crois qu’il est important qu’une enquête scientifique soit réellement réalisée à l’avenir à la fois pour rétablir les faits mais aussi pour les éventuelles futures pandémies et leur compréhension. Mon médecin me disait que si, par exemple, les cabinets médicaux avaient été équipés avec des tests, probablement que dès janvier, début février, on aurait constaté que ce qu’on traitait comme une simple grippe était déjà le covid-19.
Comment préparez-vous l’après confinement au sein de votre église ?
Pour nous, le déconfinement ira au rythme que le gouvernement indiquera. Je n’ai aucune visibilité sur les mois à venir parce que les informations que nous avons sont encore relativement vagues. Ce que l’on sait, c’est que la fin du confinement en mai ne marquera pas le retour des cultes. Dans un premier temps, les groupes d’église maison pourraient reprendre par exemple leurs activités en respectant les gestes barrières.
Un dernier message à passer à nos lecteurs protestants lors de cette période difficile ?
La première des choses que j’aimerais leur dire c’est de rester confinés. Et la deuxième c’est de rester tous solidaires les uns des autres et de continuer à s’aimer comme le Christ nous a aimé. Lors de cette période, il est plus que jamais nécessaire que les croyants quelle que soit leur étiquette, soient unis face à cette maladie. Car le virus ne s’occupe pas de savoir s’il frappe un évangélique, un réformé, un baptiste ou un luthérien… Il frappe là où il arrive. Ainsi, au cours de ces longs mois, l’unité et le soutien sont extrêmement importants.