Soins funéraires, toilettes mortuaires… La pandémie a chamboulé le processus de deuil. Le point avec Christine Renouard, aumônier coordinateur de la Fondation Diaconesses de Reuilly.
Pourquoi est-il plus difficile de faire son deuil aujourd’hui ?
Avec la pandémie, deux changements complexifient le processus de deuil. Depuis le mois de mars, un patient atteint de covid-19, en fin de vie, ne peut plus recevoir de visite à l’hôpital. Heureusement, les mesures se sont allégées récemment. Or, me semble-t-il, lorsqu’un de nos proches décède, nous avons besoin de lui dire adieu, de lui communiquer l’essentiel par des paroles, des regards ou des gestes. C’est important tout d’abord pour celui qui part. Rappelons que la principale crainte des personnes aujourd’hui ce n’est pas de mourir mais c’est de mourir seul. C’est aussi essentiel pour les proches qui ont peut-être un dernier message à transmettre au défunt. Au sein du processus de deuil, la seconde étape qui va manquer c’est de ne pas pouvoir assister à la mise en bière. Concernant les patients atteints de covid-19, les dernières directives imposent la mise en bière immédiate des morts sans même procéder à une toilette mortuaire. Directement, le corps du défunt est placé dans une housse fermée. Ce qui signifie que l’on ne peut plus voir le visage de la personne. En tant qu’aumônier, j’ai assisté et participé de nombreuses fois à des mises en bière. Lors de ce temps particulier, des prières sont lues, nous sommes présents s’ils le désirent aux côtés de la famille et des proches qui se recueillent. C’est souvent un moment émouvant où certains des proches touchent le bord du cercueil ou glissent furtivement un mot ou un objet à l’intérieur, etc. Tout ça, tous ces petits gestes d’humanité, ne pourront pas avoir lieu. Nous n’avons pas fini d’évaluer les conséquences psycho-affectives de ces nouvelles conditions de fin de vie. Cela fait violence aux proches mais aussi aux soignants car cela fait partie de l’histoire qu’ils ont vécue avec la personne qu’il s’agisse du patient dans un hôpital ou d’un résident dans un Ehpad…
Pourquoi cette situation est-elle aussi violente pour les soignants ?
Eux aussi ont besoin de s’occuper une dernière fois avec respect du corps pour clore l’histoire en douceur en rendant la personne un peu belle, en la coiffant… Les soignants se sont occupés du corps vivant. Ils vont s’occuper encore une fois du corps de la personne qui vient de décéder. Ainsi, ils auront pris soin d’elle jusqu’au bout. Les malades sont souvent des personnes qu’ils ont bien connues, en particulier en Ehpad ou au sein des services de long séjour, où les patients restent de long mois. Les directives sont certes justifiées sur le plan sanitaire et nous les observons scrupuleusement, mais les soignants sont privés de ces derniers gestes d’humanité. Moi-même, j’ai été aumônier dans un établissement de soins palliatifs et long séjour au sein duquel les soignants parsemaient le lit du défunt de pétales de fleurs. Quand la famille venait, c’était beau. Il y avait cette petite touche de tendresse, d’attention. Le prendre soin, ce n’est pas juste soigner, c’est prendre soin jusqu’au bout, et dans toutes les dimensions.
Pour tenter de panser les plaies, quels conseils donnez-vous aux proches ?
Il est important avec eux d’ouvrir un espace, une perspective car ils font face à un sentiment d’impuissance. Impossible pour eux de faire tout ce qui leur semble bon ou beau de réaliser ! On rappelle aux proches que plus tard il sera possible d’organiser un temps pour se recueillir au sein d’une assemblée plus large, pour retrouver ses amis, pour être entourés et pouvoir dire au revoir d’une autre façon. Par exemple, la cérémonie d’action de grâce peut avoir lieu quelques mois plus tard. Il faut d’emblée ouvrir cette perspective pour ne pas se morfondre dans un vide dépourvu de gestes et de recueillement… Même si les protestants ne prient pas pour les morts car le défunt est sous la grâce de Dieu. Par ailleurs, il est aussi nécessaire de rappeler aux proches qu’ils peuvent faire appel aux services d’un aumônier lors de la fin de la vie. Actuellement, nous essayons d’inventer d’autres modalités d’intervention et de maintenir autant que possible le lien avec les proches. Car en tant que ministre du culte, nous avons toujours le droit d’accompagner une personne en fin de vie. Ainsi, nous proposons aux familles qui le souhaiteraient de transmettre un message par téléphone ou Skype, de voir une dernière fois son proche en vidéo… Ce ne sont que des propositions. Si la famille considère que c’est trop dur pour elle, elle peut refuser. Mais dans une voix, même par téléphone, il y a du réconfort, de la présence.
Quels risques psychologiques à long terme cette situation peut-elle engendrer pour la famille ?
Aujourd’hui, les médias parlent beaucoup des conséquences économiques qui risquent d’être désastreuses, mais les conséquences psychologiques risquent aussi d’être fortes. Car cette situation est malheureusement irréversible. Il sera impossible pour les proches de réaliser ces étapes prenant part au processus de deuil qui n’ont pas été vécues. Ces conditions si particulières redoublent la souffrance. Et tout ce qui redouble la souffrance compliquent forcément le deuil. Pour ma part, chaque jour, je pense beaucoup aussi aux soignants. Actuellement ils sont dans un engagement tout à fait admirable et sont soutenus par les populations. Mais demain ? Que va-t-il se passer pour ceux qui œuvrent en réanimation, se battent pour des vies qui finalement s’arrêtent ? Au sein de la Fondation des Diaconesses, on s’est dit que dans des situations de souffrance, il fallait essayer de poser une parole pour rétablir un lien d’humanité. Voilà pourquoi on a composé un petit recueil composé de textes laïques ou de prières qui pourraient permettre à une personne de l’établissement de dire adieu, et, selon les convictions du défunt, de prononcer une parole de bénédiction à la toute fin de vie : « Va en paix » ou , « Que le Seigneur te bénisse ». Car la parole est vraiment la marque de l’humanité.