En période de confinement, la Cimade reste mobilisée en faveur des personnes étrangères dont la situation s’est fragilisée avec le covid-19.
Le point avec Christophe Deltombe, président de l’association.
Comment la Cimade maintient-elle ses actions ?
A l’égal d’autres associations, la situation est compliquée. L’une des actions clés de la Cimade c’est l’accompagnement juridique des personnes étrangères. En tout, l’association compte 110 permanences reparties aux quatre coins de la France. Tenues par des bénévoles, elles permettent à chaque personne de trouver comment parvenir à une régularisation ou un renouvellement du droit au séjour et à comprendre d’autres démarches administratives françaises parfois kafkaïennes. Or la pandémie rend impossible l’accueil physique. Ainsi, cette aide se réalise actuellement par appels téléphoniques. Chaque groupe local a mis en place son propre dispositif qu’il teste et fait évoluer en fonction de la réalité du terrain pour continuer au mieux sa mission d’accompagnement. Suite aux prescriptions gouvernementales, les ateliers socio-linguistiques et autres activités en présentiel ont aussi été stoppés. En revanche, la Cimade poursuit sa présence sur deux volets importants : l’interpellation et la communication. Nous continuons à informer sur ce qu’il se passe dans les campements, dans les Centres de rétention administratives (Cra) et sur les difficultés rencontrées par les populations sans droit dans l’attente que des mesures soient adoptées les concernant. A partir du moment où l’on accompagne juridiquement des individus, inévitablement le non-respect d’un droit peut justifier un contentieux. Par exemple, nous avons saisi le Conseil d’État pour demander la fermeture totale de l’ensemble des Centres de rétention administratives (Cra) au sein desquels sont retenus les étrangers qui font l’objet d’une procédure d’expulsion. Malheureusement, le Conseil d’État ne nous a pas suivi… Aujourd’hui, une grande partie des Cra sont fermés mais quelques uns continuent d’être en activité. Or maintenir des Cra en période de pandémie est grave, inutile, voire même dangereux. Dans ces lieux fermés, les personnes étrangères en situation de promiscuité sont susceptibles de se partager le virus. Elles mangent ensemble, dorment dans les mêmes petites chambres… De plus, ces centres n’ont plus lieu d’être car ces individus ne peuvent être expulsés car les lignes aériennes et les frontières sont fermées. Cette situation est absurde ! D’ailleurs, dans ces conditions, la loi exige leur remise en liberté. Malheureusement, notre gouvernement est très mobilisé sur le virus mais oublie quelques catégories de populations. Concernant les étrangers, il y a des carences. Pourtant ce virus ne choisit pas de s’attaquer à une nationalité plutôt qu’à une autre. Les personnes présentes sur le territoire français, qu’elles soient françaises ou étrangères, sont toutes à la fois vulnérables et contagieuses. La nationalité n’est pas un frein au coronavirus.
Selon des acteurs du secteur associatif, les demandeurs d’asile sont les oubliés de la crise du coronavirus en France. Que se passe-t-il concrètement ?
C’est un vrai problème car les guichets uniques pour demandeurs d’asile (GUDA) et les structures de premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA) sont en grande partie fermés. Or si l’on ne peut plus déposer de demande d’asile, on ne peut plus bénéficier des maigres droits qui nous sont dus tels que la protection universelle maladie (Puma) ou d’un hébergement dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) ou au sein d’une structure similaire. L’aide financière est extrêmement modeste. Elle s’élève à 6,80 euros par personne et par jour. Pour se nourrir, c’est peu. Si l’on dispose d’un logement, elle monte à 7,40 euros par jour. Ce qui reste faible… Je ne dis pas que les pouvoirs publics ne sont pas conscients du problème. Ils le sont. Mais pour l’instant, nous n’avons pas réussi à déboucher sur un dispositif satisfaisant pour permettre aux demandeurs d’asile de déposer leur demande… Malheureusement, les demandeurs d’asile ne sont pas les seuls à être oubliés. Les sans-papier sont également dans une situation extrêmement difficile. Ils sont pourtant environ 400 000 en France… Car l’examen des dossiers de régularisation a été suspendu. De plus, ces personnes travaillent souvent au noir ou sous alias, c’est-à-dire avec un nom d’emprunt, et ne bénéficient pas de chômage partiel, ni d’autres aides. Lorsque leur activité professionnelle s’arrête, leurs maigres ressources s’envolent. Et elles n’ont plus rien…
Vous évoquiez la situation actuelle dans les Centres de rétention administratives (Cra). Qu’en est-il pour les camps de réfugiés ?
Encore une fois, la situation est tendue même de nombreuses mises à l’abri ont été réalisées. Fin mars, le campement de Calais rassemblait environ 400 personnes et celui de Grande Synthe, 600 individus, parmi lesquels des familles avec des enfants. Il resterait une centaine de personnes au sein de ces deux lieux. Ces mises à l’abri ont été rendues possibles par cette situation inédite de confinement alors que précédemment les autorités nous répondaient que ce n’était pas possible… Qu’il n’y avait pas de place… Actuellement, nous nous battons toujours avec les préfets qui se font un point d’honneur à ne pas mettre de point d’eau dans les camps, ni de sanitaire et à tenter d’enlever les maigres équipements que ces personnes disposent. Or si vous ne disposez pas d’eau courante, comment faites vous pour respecter les gestes barrières et vous laver les mains ?
Et ailleurs, en Europe ?
Nous sommes très inquiets par ce qu’il se passe à la frontière entre la Grèce et la Turquie. C’est dramatique ! Ce sont les grands oubliés de l’Europe. Aucune solidarité réelle s’est manifestée à l’égard de la Grèce qui assume seule le poids de ses populations vivant dans des centres fermés aux conditions sanitaires déplorables sur les îles à l’instar de Lesbos. Dans des camps de 3000 places, vous avez 7000 personnes et parfois plus. Le taux de suicide des jeunes est important. Et, pour l’heure, il n’y a aucune perspective… Autre situation extrêmement inquiétante : aujourd’hui, toujours en raison du virus, il n’y a plus aucune ONG en Méditerranée. Si bien que des personnes se noient et tout le monde l’ignore. La quasi totalité des bateaux sont refoulés vers la Libye alors qu’on sait très bien qu’il s’y passe des choses horribles, qualifiées même par Emmanuel Macron de « crimes contre l’humanité ». L’Europe entière tolère cette situation. Avec le covid-19, l’Italie a déclaré qu’elle ne pouvait pas accepter les bateaux dans ses ports.
Le 12 avril, la Cimade a du dire adieu à l’un de ses grands hommes, Jacques Maury. Un mot pour lui ?
C’était une très grande personne. Il a été président de la Cimade de 1989 à 1995 et reste très cher dans le cœur des Cimadiens. C’est d’ailleurs l’unique président d’honneur de l’association. Ce titre a été crée pour lui ! Malgré son grand âge, il était présent à l’inauguration des nouveaux locaux de la Cimade il y a un an. On le retrouvait avec joie également aux assemblées générales et autres fêtes que l’on pouvait organiser. Lors de ma dernière visite à son domicile, nous avons parlé de l’histoire de la Cimade qu’il connaissait fort bien. Lors de l’été 1942, alors étudiant en théologie, il avait rejoint son cousin André Dumas, équipier Cimade au camp de Rivesaltes, affecté au regroupement familial d’Espagnols et de juifs. Cet épisode de sa vie l’a tout simplement bouleversé.