Avec Pékin, l’UE doit, selon les domaines, favoriser la coopération, organiser la compétition ou accepter la confrontation.
Un défi est lancé à l’Europe comme au reste du monde : le défi de la Chine. La montée en puissance de cet immense pays, devenu en quelques années l’un des acteurs majeurs de la diplomatie mondiale, inquiète ceux qui redoutent les effets d’une telle mutation sur les équilibres géopolitiques. « Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera », prédisait Napoléon. Ce moment semble venu. De Mao Zedong à Deng Xiaoping puis à Xi Jinping, président de la République depuis 2013, l’empire du milieu s’est hissé au rang des grands Etats de la planète. Géant économique, technologique et bientôt militaire, au terme d’une révolution industrielle à marche forcée, il bouscule aujourd’hui l’ordre international. A en croire certains en Occident, si le XIXème siècle a été pour la Chine celui de l’humiliation et le XXème celui de la restauration, le XXIème sera celui de la domination.
Passer résolument à l’offensive
Pour faire face à cette menace, l’Europe est-elle capable d’unir ses forces et de devenir à son tour un acteur qui compte sur la scène internationale ? C’est l’un des grands enjeux de la construction européenne dans un monde où quelques grandes puissances prétendent faire la loi. La journaliste britannique Judy Dempsey a posé à une dizaine d’experts, pour le site Carnegie Europe, la question décisive : l’Europe peut-elle tenir tête à la Chine ? Les réponses divergent, comme on pouvait s’y attendre, les uns estimant que l’Union européenne a encore les moyens de résister, les autres craignant qu’il ne soit trop tard. Mais tous s’accordent pour reconnaître, comme la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans un récent entretien au quotidien Les Echos, que désormais « il y a besoin de plus d’Europe » et que l’Union européenne doit passer résolument à l’offensive.
Le fait nouveau est que les Européens ont enfin pris conscience de la nécessité d’agir. Il y a moins d’un an, en mars 2019, la Commission européenne, alors présidée par Jean-Claude Juncker, a esquissé une stratégie nouvelle en affirmant que la Chine n’est pas seulement un partenaire, mais qu’elle est aussi un « concurrent économique » et un « rival systémique ». L’historien François Godement, spécialiste de la Chine, a salué dans ce « virage européen » ce qu’il a appelé « un acte de survie pour l’Europe ». Dans un article publié par l’Institut Montaigne, il souligne que « l’UE doit trouver en elle-même ses propres réponses, à commencer par de nouvelles règles de concurrence et par des politiques industrielles, ainsi qu’en liant entre eux les sujets de négociation pour obtenir des résultats dans les relations avec Pékin ».
Les atteintes aux droits de l’homme
L’Europe a d’ores et déjà durci sa position vis-à-vis de la Chine. Signe du « changement de perspective » relevé par François Godement, elle a renforcé ses instruments de défense commerciale, en mettant en place un mécanisme de contrôle et de filtrage des investissements étrangers. Elle devra trancher la question de la participation, ou non, du groupe Huawei au déploiement de la 5G, alors même que l’équipementier chinois soumet les gouvernements européens à un intense lobbying. Sur le plan politique, elle n’hésite plus à critiquer les atteintes aux droits de l’homme en Chine et soutient les démocrates de Hongkong. Sur le plan économique, elle demande que soit appliquée la règle de la réciprocité et que soit garanti l’accès des entreprises européennes au marché chinois. L’avenir dira si les Etats sauront enfin surmonter leurs divisions pour maintenir un front commun face aux manoeuvres chinoises.
En attendant, il serait réaliste, comme le suggère Lizza Bomassi, directrice adjointe de Carnegie Europe, en réponse à Judy Dempsey, de distinguer les domaines dans lesquels une coopération est possible entre l’Europe et la Chine, ceux dans lesquels les relations de concurrence sont inévitables et ceux dans lesquels la confrontation doit l’emporter. Sur la lutte contre le changement climatique, l’Europe doit ainsi favoriser la coopération en bâtissant des partenariats avec la Chine comme avec les autres puissances mondiales. Sur le commerce ou la technologie, elle doit apprendre à gérer la concurrence, sans perdre de vue la nécessité de rester unie. Sur la défense des valeurs et de la démocratie, enfin, elle doit se montrer inébranlable au nom de l’Etat de droit, qui est au cœur de son identité.