Les Européens espèrent une revitalisation du lien transtlantique.
Les Européens ont toutes les raisons de se réjouir de la victoire de Joe Biden aux Etats-Unis. Ou plutôt de la défaite de Donald Trump à l’issue de son premier mandat. Le président sortant est devenu en effet, depuis quatre ans, l’exacte antithèse de tout ce que défend et incarne l’Union européenne sur le terrain de la politique, de ses pratiques et de ses valeurs. Les idées et peut-être plus encore le style de Donald Trump, plus porté sur l’insulte et le mensonge que sur l’argumentation raisonnée, sont à l’opposé des méthodes et des croyances dont se réclament les Européens aussi bien sur le plan intérieur que sur la scène internationale.
Ce n’est pas que les Etats du Vieux Continent se soient montrés toujours respectueux des droits de l’homme ni des principes de la démocratie. Aujourd’hui encore, deux d’entre eux au moins – la Hongrie et la Pologne – sont montrés du doigt par leurs partenaires de l’Union européenne pour des violations de l’Etat de droit. Mais, par-delà les possibles manquements de tel ou tel Etat à la règle commune, la construction européenne s’est bâtie sur le dialogue, l’écoute de l’autre, la recherche du compromis, qui continuent de définir son identité. Voilà pourquoi le « trumpisme » suscite peu de sympathie en Europe, sauf dans les rangs de la droite dure ou de l’extrême-droite, au pouvoir à Budapest et à Varsovie.
Le départ de Donald Trump apparaît donc comme une bonne nouvelle dans la plupart des capitales européennes. Les principaux dirigeants de l’UE – d’Angela Merkel à Emmanuel Macron, en passant par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne – n’ont pas attendu que le président sortant reconnaisse sa défaite pour adresser leurs félicitations à son vainqueur. Ils ont affiché sans réserve leur volonté de coopérer avec la nouvelle administration. Pour eux, une page est heureusement tournée, et s’ils se gardent, par diplomatie, de rappeler leurs différends passés avec Donald Trump, il est clair qu’ils préfèrent discuter avec Joe Biden, un homme courtois et chaleureux, qu’avec son prédécesseur, si éloigné d’eux par ses mauvaises manières et son arrogance brutale.
Les Européens n’attendent pas du futur président américain qu’il soit pour eux un interlocuteur complaisant mais ils le perçoivent comme un homme d’expérience, en particulier dans les relations internationales, un homme calme et de sang-froid, habitué à négocier sans céder à des sautes d’humeur, bref un professionnel de la politique, au bon sens du terme, avec lequel on peut parler et s’entendre. L’avenir dira si le successeur de Donald Trump répond, au moins partiellement, à ces espérances. En tout cas, aux yeux des Européens, il apparaît comme l’anti-Trump, autrement dit comme celui qui dit non aux fausses promesses des populistes et aux provocations des démagogues.
Ce n’est pas seulement la personnalité de Joe Biden qui rassure les Européens, ce sont aussi ses engagements de campagne en faveur d’un retour au multilatéralisme dans le domaine géopolitique : le futur président a promis que les Etats-Unis reviendraient dans l’accord de Paris sur la lutte contre le changement climatique, qu’ils reprendraient langue avec Téhéran sur la question nucléaire, qu’ils mettraient fin à leur boycottage de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) et de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), bref qu’ils abandonneraient l’unilatéralisme mis en œuvre par Donald Trump face aux grands défis mondiaux. Si Joe Biden tient parole, les Européens pourront crier victoire, eux qui ont fait des grands instruments de la coopération internationale les principaux leviers de leur diplomatie.
Cela ne veut pas dire que, sur tous les sujets, Joe Biden prendra le contrepied de son prédécesseur. Quoique vaincu, le trumpisme n’est pas mort. Le futur président devra compter avec ce courant profond de l’opinion américaine qui l’obligera sans doute à des compromis. Les Européens auraient tort de croire que la vieille solidarité occidentale est de retour. Hubert Védrine est de ceux qui les invitent à ne pas se bercer d’illusions. « Au bout d’un moment, les Européens devront se rendre compte qu’ils ont toujours à faire à la même Amérique d’avant Trump, qui veut maintenir son hégémonie et, face à la Chine, les utiliser comme supplétifs », écrit l’ancien ministre des affaires étrangères dans Le Journal du Dimanche. Si Joe Biden est prêt à « redonner des chances au partenariat, à la coopération », comme le pense Hubert Védrine, l’Europe doit saisir l’occasion pour tenter de nouer avec les Etats-Unis une relation nouvelle.
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