La crise du coronavirus peut unir les Européens dans le sentiment d’un destin commun.
En période de crise, il est devenu banal de s’en prendre à l’Union européenne, accusée d’impuissance bureaucratique au moment où elle devrait aider les Etats à organiser leur riposte. La crise du coronavirus ne fait pas exception : les Etats, souligne-t-on, ont réagi en ordre dispersé, sans la moindre concertation avec Bruxelles, et l’Europe, une fois de plus, a brillé par son absence face à l’une des tragédies les plus graves qu’ait connues le Vieux continent à l’époque moderne. Le « chacun pour soi » l’aurait ainsi emporté sur la solidarité et l’entraide, le réflexe national reléguant au second plan la coopération européenne.
Ce procès est en partie injuste. S’il est vrai que les institutions européennes ont été surprises, comme les gouvernements nationaux, par l’ampleur et la rapidité de la pandémie, donnant l’impression d’être dépassées par les événements, il faut rappeler, à leur décharge, que leurs pouvoirs sont limités. Certes Bruxelles ne se désintéresse pas de la santé publique, puisqu’une commissaire européenne, la Chypriote Stélia Kyriakidou, est chargée de ce portefeuille et que le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’un des deux volets du traité de Lisbonne, donne compétence à l’Union « pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des Etats membres » dans ce domaine.
Des missions d’appoint
La troisième partie du traité, consacrée aux « politiques et actions internes de l’Union », précise même que l’action de l’Union, qui s’ajoute à celles des Etats, « porte sur l’amélioration de la santé publique et la prévention des maladies et des affections humaines » et qu’elle comprend également « la lutte contre les grands fléaux, en favorisant la recherche sur leurs causes, leur transmission et leur prévention ». La santé publique n’est donc pas oubliée dans les missions de Bruxelles, mais ce sont des missions d’appoint. Selon le traité, « l’Union encourage la coopération entre les Etats membres » et ceux-ci « coordonnent entre eux, en liaison avec la Commission, leurs politiques et programmes ». Les institutions européennes sont invitées à agir « dans le respect des responsabilités des Etats membres ».
Pourtant l’UE n’est pas restée inactive. « Au niveau européen, rappelle la Fondation Robert-Schuman, un des principaux centres de réflexion sur la construction européenne, la première initiative a été prise le 1er février avec la mobilisation par la Commission de 10 millions d’euros pour la recherche ». D’autres initiatives ont suivi, comme l’annonce par la Commission, le 24 février, d’un paquet de 232 millions d’euros pour la recherche, l’OMS, la Chine et les pays partenaires en Afrique ainsi que le rapatriement des Européens de Chine. Depuis le 2 mars, ajoute la Fondation Robert-Schuman, « l’Union européenne a déployé une panoplie d’outils ». Le 19 mars, la Commission a décidé, par exemple, la création d’une réserve stratégique de matériel médical, notamment de respirateurs et de masques de protection, dotée d’un budget initial de 50 millions d’euros, pour soutenir les Etats victimes de pénuries.
« Une vieille logique »
L’Union européenne est davantage sur son terrain, celui de l’économie, lorsqu’il s’agit de préparer l’après-pandémie. Pour soutenir l’activité, la Commission a débloqué 37 milliards d’euros issus des fonds de cohésion. Elle a également proposé la suspension du pacte de stabilité et l’assouplissement des règles sur les aides d’Etat. Quant à la Banque centrale européenne, elle a lancé un programme d’achat d’urgence contre la pandémie de 750 milliards d’euros. Ces efforts sont considérables. Reste le débat sur les « coronabonds » et sur une mutualisation de la dette. Ce sera l’un des grands tests de la solidarité européenne. L’ancien premier ministre grec Alexis Tsipras dénonce ainsi, dans une tribune du Monde, ceux des dirigeants européens qui « conservent leur vieille logique » malgré la gravité de la menace.
Une nouvelle logique peut-elle émerger de la catastrophe sanitaire ? Certes les populismes ne sont pas morts, qui invitent au repli nationaliste et au dénigrement de l’Europe. Il serait dramatique qu’ils sortent renforcés de la crise. Mais on peut envisager l’hypothèse inverse. L’expérience du malheur partagé qu’affrontent ensemble les Européens ne va-t-elle pas raviver chez eux un même sentiment d’appartenance ? C’est une leçon collective que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, les appelle à tirer de l’épreuve. « Il faut reconnaître qu’au début de la crise, face au besoin d’une réponse européenne commune, beaucoup trop n’ont pensé qu’à leurs problèmes nationaux », a-t-elle déclaré. Mais le temps passant, et les manifestations de fraternité se multipliant, comme l’accueil de malades français dans des hôpitaux d’autres pays, l’unité de l’Europe se construit peut-être dans les cœurs et les esprits. De sorte que le confinement subi par une grande partie de la population européenne pourrait apparaître, paradoxalement, non comme un facteur d’isolement mais comme l’expression d’une communauté de destin.