On n’imagine pas que le Royaume-Uni choisisse de rompre toutes les attaches qui l’unissent au Vieux Continent.
En donnant à Boris Johnson une large majorité, le peuple britannique a confirmé sa volonté de quitter l’Union européenne. Après avoir dit oui au Brexit par référendum en juin 2016, il a ratifié par son vote, en décembre 2019, l’accord de divorce conclu entre Londres et Bruxelles. C’est la fin d’une longue histoire commune qui a connu de nombreux rebondissements. Dans un premier temps, en 1950, au moment de la création de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier), puis en 1957, à la naissance de la CEE (Communauté économique européenne), le Royaume-Uni a choisi de se tenir à l’écart.
Dans un deuxième temps, les Britanniques ont fait, avec retard, acte de candidature mais se sont heurtés, en 1963 et en 1967, au veto du général de Gaulle. Enfin, le 1er janvier 1973, le Royaume-Uni a fait son entrée dans la Communauté, en même temps que le Danemark et l’Irlande. Deux ans plus tard, en juin 1975, le peuple britannique, consulté par référendum, approuvait cet engagement. Le mariage allait durer près d’un demi-siècle, non sans brouilles passagères ni péripéties diverses. Vient le moment de se séparer. Il serait souhaitable, pour le bien des deux parties, que la séparation se fasse à l’amiable, sans cris ni récriminations.
Pendant cette longue union, la vie n’a pas toujours été facile entre les sujets de Sa Gracieuse Majesté et leurs partenaires européens. Le Royaume-Uni n’a jamais accepté la perspective d’une Europe fédérale dont beaucoup rêvaient sur le Vieux Continent. Il a choisi de rester en dehors de la zone euro et refusé d’adhérer à l’espace Schengen. Il a obtenu dans de nombreux domaines des dérogations aux règles communes. Le grand paradoxe du Royaume-Uni est qu’il a joué un rôle-clé dans la naissance de l’Union européenne mais qu’il a tout fait ensuite pour l’affaiblir. Rappelons-nous la célèbre allocution de Winston Churchill à Zurich en 1946, au lendemain de la guerre.
L’ancien premier ministre britannique évoque « la tragédie de l’Europe ». Il déplore « un vacarme de voix discordantes » chez les vainqueurs et « le silence lugubre du désespoir » chez les vaincus. Pourtant, dit-il, il existe un remède qui « transformerait toute la scène comme par miracle ». Quel est ce remède ? Il consiste à « recréer la famille européenne » et à « la doter d’une structure qui lui permette de vivre dans la paix, la sécurité et la liberté ». « Nous devons édifier, en quelque sorte, les Etats-Unis d’Europe », conclut Winston Churchill. Discours historique, souvent considéré comme fondateur. A ceci près qu’il invite les nations d’Europe à s’unir mais sans le Royaume-Uni. « Nous autres Britanniques, nous avons notre propre Commonwealth », rappelle l’orateur.
Négocier les nouvelles relations économiques
Les esprits ont évolué depuis cette époque lointaine et les circonstances ont changé mais l’ambiguïté de la position britannique n’a jamais été complètement effacée. Entre l’Europe et « le grand large », c’est-à-dire l’Amérique, le Royaume-Uni, de Winston Churchill à Boris Johnson, a longtemps balancé. Désormais les choses sont claires. Les Britanniques ont décidé de couper les ponts. Reste à savoir quels liens vont être maintenus, à l’avenir, entre eux et les Européens. On n’imagine pas, en effet, que le Royaume-Uni choisisse de rompre toutes les attaches qui l’unissent au Vieux Continent et qui, par-delà l’Union européenne, n’ont cessé de nourrir, depuis plusieurs siècles, une communauté de culture de part et d’autre de la Manche.
La priorité, pour les Britanniques, est de négocier avec l’UE les nouvelles relations économiques qu’ils entretiendront, dans les prochaines années, avec leurs anciens partenaires européens, à commencer par les relations commerciales que définira un futur traité de libre-échange. Boris Johnson a menacé de transformer son pays en un îlot de déréglementation sauvage qui abaisserait toutes ses normes fiscales, sociales ou environnementales pour mieux faire concurrence à ses voisins. Inacceptable, disent les Européens, qui appellent à des relations équilibrées. On peut espérer que Boris Johnson, pour l’intérêt même du Royaume-Uni, choisisse la voie de la raison plutôt que celle de la surenchère.
L’autre grand domaine dans lequel devra être précisée la future coopération entre Londres et Bruxelles est celui de la défense et de la diplomatie. Même s’il n’appartient plus à l’Union européenne, le Royaume-Uni, seul pays européen, avec la France, à posséder l’arme nucléaire et à siéger comme membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, continuera d’exercer une responsabilité particulière dans la défense de l’Europe. Rien ne permet de penser qu’il envisage d’y renoncer. Le Royaume-Uni doit rester un partenaire solide, un allié fidèle et un ami sincère des Européens.