II. 2. Le puits sans fond de l’écologie profonde : errances de la théologie de l’intendance

Naguère il y avait les communistes « à visage humain » qui voulaient une « église rouge« , aujourd’hui il y aurait des « écologistes profonds à visage chrétien » qui voudraient une « église verte« . Nos trois inquisiteurs n’y vont pas par quatre chemins : « justifier une domination despotique et même parfois tyranique (sic) de l’humain sur la planète par le verset 28 du premier chapitre de la Genèse est un contresens terrible au vu de l’ensemble du contenu biblique ». 

Voilà donc d’où parlent nos trois compères : « au vu de l’ensemble du contenu biblique ». Tout devient clair. Conséquence : leurs opposants sont accusés d’hérésie. Grave puisqu’elle mène à un contresens « terrible ». Encore une vieille tactique inquisitoriale pour terroriser les opposants.

 Ces Maîtres de Vérité disposent-ils d’un Évangile selon saint Profond ou d’un manuscrit caché de la mer Morte ? Ils citent le pape pour appuyer leurs propos : ont-ils eu la révélation d’une infaillibilité pontificale dans son magistère social que les catholiques ignoraient ? 

Évidemment, je n’ai jamais justifié une telle « domination despotique ou tyrannique » sur la planète. L’absurdité d’une telle affabulation n’échappera à personne. Le « despotisme » et la « tyrannie » signifieraient l’existence de relations politiques entre des êtres vivants qui ont une conscience : d’un côté les humains oppresseurs, de l’autre la planète opprimée. Or, la planète n’est pour moi ni un vivant, ni même un être. Je ne « justifie » donc rien de toutes ces balivernes de « despotisme » ou de « tyrannie » qui me sont attribuées.

Qu’à l’inverse, nos trois accusateurs croient de telles relations possibles démontre leur réification païenne de cet amas de particules qui tourne autour du soleil, au point d’imaginer que l’on pourrait lui faire subir une oppression dont il faudrait le « sauver ». 

« Au vu de l’ensemble du contenu biblique », nos trois compères n’hésitent pas à passer par pertes et (surtout) profits, la Genèse I.26 où il est indiqué : Faisons l’humanité à notre image, selon notre ressemblance, et qu’elle domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur les animaux domestiques et sur toute la terre, et sur les reptiles qui rampent sur la terre. » Eux ont-ils une version où Dieu dit que l’humanité ne vaudrait pas plus qu’animaux, végétaux et minéraux, eux aussi créés à l’image de Dieu ? 

Perspective assénée à nouveau plus loin : « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et soumettez-la, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre. »

Dieu en rajoute : il semble avoir trouvé « bon » (ou « bien ») la création de la nature, minéraux, végétaux et animaux. Mais, après avoir créé l’humain, femme et homme : « Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici cela était très bon. » Oui, Dieu ne dit plus « bien » mais « Très bon » ou « éminemment bien »(וַיַּרְא אֱלֹהִים אֶת-כָּל-אֲשֶׁר עָשָׂה, וְהִנֵּה-טוֹב מְאֹד; ). Ciel ! et l’« égalitarisme biosphérique » ?

Même après la chute et le déluge, à la sortie de l’arche de Noé, Dieu continue à développer un « contre sens terrible » dans la Genèse : « Soyez féconds, multipliez et remplissez la terre. Vous serez craints et redoutés de toute bête de la terre, de tout oiseau du ciel, de tout ce qui se meut sur la terre et de tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains. » 

Songez même qu’il incite Abraham à construire la nation juive en invoquant une prééminence humaine et qu’il exige de lui sacrifier un bélier, pourtant un vivant, au lieu d’Isaac ! Tous les vivants ne se valent-ils donc pas ? Et j’en passe d’autres passages scandaleux de cet « anthropomorphisme » qui conduit Dieu à passer une alliance avec Moïse, au lieu d’avec les animaux et des végétaux… jusqu’à nous donner à la nation juive une terre « en possession » (GenèseExodeDeutéronomeJosuéNombresEzéchiel…), leur demandant sur ce royaume d’Israël de croître et de se développer… 

Certes, en 1982, certains luthériens américains ont cru pouvoir intituler un texte « Le Terre : un don de dieu, notre responsabilité ». Ils invoquaient à l’appui de leurs thèses la Genèse (2, 15) où il serait demandé de « cultiver et de garder » avec amour la terre.

Mais ce texte concerne Adam et Éve, dans le Jardin d’Éden, en aucune façon la vie de l’humanité après la chute qui engage un rapport disharmonieux et exige la transformation infinie de la nature, comme le montrent les textes qui ont trait au royaume d’Israël et à sa croissance. On retrouve cette différence qualitative dans toutes les traditions qui évoquent ce paradis perdu appelé́ « jardin d’Éden» par juifs, chrétiens et musulmans, «Satya Yuga » par l’hindouisme, « âge d’or», par le poète Hésiode… Il suffit de se reporter pour les Grecs au mythe de Prométhée.

Paradoxalement d’ailleurs, il est dans la Bible que même dans cet Éden, il faille « cultiver » la terre. Or, cultiver est une action de transformation proprement humaine qui ne laisse pas la nature en l’état. Il n’y a pas ici d’harmonie préétablie. Et cet Éden lui-même n’est pas le moins du monde un produit naturel de la planète. Le texte (Genèse, 2,8) dit que Dieu l’a « planté ». L’harmonie relative ne doit donc rien à la planète.

C’est bien pourquoi aucun culte ne lui est dû à la différence de Dieu. Le texte hébreu dit d’ailleurs que l’humanité doit « soigner », et non garder (2,15) l’Éden. L’intervention humaine s’impose pour répondre aux desseins divins. Et puisqu’il s’agit de soigner, elle indique bien l’exceptionnalité humaine et non l’équivalence des « écosystèmes ». D’ailleurs l’Éternel précise (2,16) : « tous les arbres du jardin tu peux t’en nourrir » sans aucune considération pour les végétaux, seulement pour la seule satisfaction humaine Et c’est bien pour avoir désobéi à Dieu, et non pour avoir pillé l’Éden, que les humains sont punis. 

En vérité je ne connais aucun texte qui dise l’amour dû à la planète ou l’équivalence de l’humanité avec des « écosystèmes ». Certains évêques partisans d’une « éthique de l’intendance » avaient cru, en 1980, trouver quelques lignes en ce sens dans le Lévitique (25 :23) : « Et le pays ne se vendra pas à perpétuité, car le pays est à moi ; vous, vous êtes chez moi comme des étrangers et comme des hôtes ».À les en croire, Dieu aurait ainsi un jour demandé aux humains de jouer le rôle d’ « intendant » pour préserver la terre et d’en voir un usage modeste.

Or, il n’y a aucune trace à ma connaissance (certes limitée) de cette modestie d’usage demandée. Ce chapitre 25 évoque non pas la conduite à tenir de l’humanité sur les siècles à venir, mais seulement les 49 premières années d’installation de la nation juive sur les terres inhabitées d’Israël ; la cinquantième année étant le « jubilé ».

Et après 50 ans ?  « Chacun d’entre vous rentrera dans son bien » ( Lev.25, 10). Ce qui est confirmé ensuite : « En cette année jubilaire, vous rentrerez chacun dans votre possession. » (Lev, 25, 13) Alors ceux qui occupent les sols devront le faire fructifier et ils pourront se nourrir « abondamment » (Lev. 25,19) des produits de leur exploitation, avec le souci de la croissance, de la richesse et du bien-être dans le respect des lois divines. La suite indique : « je vous donnerai les pluies en leur saison, et la terre livrera son produit, et l’arbre du champ donnera son fruit », (26-4) ou bien encore, au lieu d’évoquer une interdépendance et l’équivalence des sous-systèmes naturels : « je ferai disparaître du pays les animaux nuisibles » ou « je vous ferai croître et multiplier »…Les exemples abondent.

Le texte cité par les évêques se situe durant la période qui précède le jubilé. Et uniquement celle-ci. Elle ne concerne pas l’utilisation et l’exploitation de la terre mais seulement la question juridique de la propriété individuelle et la protection des juifs qui auraient des difficultés à conserver la terre donnée par Dieu. Car juridiquement, la propriété revient de droit au premier occupant, comme cela est commun sur toute terre découverte et chacun devrait pouvoir en faire ce qu’il veut. Mais, Dieu va suspendre en partie le droit de propriété pour protéger les plus malchanceux.  Ainsi, si un juif éprouve des difficultés au point de devoir vendre son bien, Dieu interdit qu’elle soit achetée « irrévocablement » durant 49 ans. Il précise : « dans tout le pays que vous posséderez, vous accorderez le droit de rachat sur les terres. » Celui qui a été contraint de vendre pourra ainsi racheter en priorité sa terre et le nouvel acheteur sera contraint de la lui restituer. Plus encore : celui qui est ruiné durant cetet période peut vendre le bien mais il le récupèrera juste après le jubilé. 

Ce n’est pas l’humain qui est intendant, mais Dieu. Son objectif en offrant la possession mais pas le droit de pleine propriété n’est pas de préserver la planète mais l’individu élu. Avec des exceptions comme la propriété des Lévites dans la banlieue des villes qui est « inaliénable ».

Et loin d’en appeler à un culte de la nature ou du « Grand Soi », le texte indique : « Ne vous faites point de faux dieux; n’érigez point, chez vous, image ni monument, et ne mettez point de pierre symbolique dans votre pays pour vous y prosterner: car c’est moi, Éternel, qui suis votre Dieu ».(Lev, 26,1) 

Et que dire finalement de tous ces textes « terribles » car « anthropocentriques » qui indiquent que la grâce est comme « la lumière qui éclaire tout humain venant dans le monde » (Évangile selon Jean) et seulement les humains ? Lumière qui permet de croire que Dieu a demandé de s’aimer les uns les autres, d’aimer même l’étranger comme soi-même (Lév, 33,34), voire qui dit « aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés » (Jean, 13-34), c’est-à-dire jusqu’au sacrifice, sans référence à l’amour pour les sous-systèmes animaux, végétaux, minéraux ? Et que penser de ces débats sur la justification par la foi ou les œuvres, puisque le salut vient de la désœuvre pour sauver les écosystèmes de la planète ? De ces sacrements qui s’adressent aux humains, aux petits « soi »  mais non aux autres petits « soi », moucherons, mygales, arbres et pierres qui vaudraient pourtant autant qu’eux ? Et de ces prophètes venus pour les seuls humains jusqu’à l’annonce de cette résurrection du dernier jour dans l’oubli du « Grand Soi»?

« Contresens terrible » ? Contre le paganisme, je maintiens que moralement, socialement, politiquement, cosmologiquement, ontologiquement, l’humain est au-dessus de tout vivant et du non-vivant, qu’il n’a de comptes à rendre qu’à lui-même, sinon à Dieu, et qu’il doit croître, se multiplier, humaniser la planète et assumer dans la joie sa libre nature créatrice.