Où l’on voit que les ronds-de-cuir ont pris la poudre d’escampette.
Lors de son intervention télévisée, le Président de la République a salué la discipline, la solidarité, les capacités d’innovation dont font preuve nos concitoyens. Alors que les spéculations vont bon train au sujet des intentions du gouvernement dans le domaine économique, Emmanuel Macron s’est bien gardé de dévoiler quelles mesures il entendait mettre en œuvre. Ce n’était pas le moment. Toutefois, dans les circonstances actuelles, plus que jamais, le Ministère de l’Économie et des Finances est appelé à jouer les premiers rôles.
Crise oblige, les chefs d’entreprises et les artisans se tournent vers l’État, demandent son aide. La maison brûle et, pour le coup, nul ne regarde ailleurs. Haut fonctionnaire chargé de coordonner l’action de l’État dans ce domaine, Paul [son prénom a été changé, NDLR] a bien voulu témoigner de son travail quotidien. Ce n’est pas le gratte-papier de Courteline, pas non plus le robot technocratique dont les Français s’exaspèrent. Précis mais sensible, Paul met du cœur à son ouvrage, convaincu que chacun doit se mobiliser pour éviter le naufrage.
«Il est essentiel de penser, d’agir de façon positive, explique Paul. Tout le monde le sait désormais, le ministère des finances a décidé de soutenir toutes les entreprises, quel qu’en soit le prix. Par notre intervention, nous voulons sauver les entreprises et préserver l’emploi. Ce que nous faisons chaque jour a vraiment du sens et tous nos agents sont mobilisés dans cette direction. Les chambres de Commerce et d’industrie, les Chambres de métier et d’artisanat, les chambres d’agriculture font preuve d’une réactivité de tous les instants. Nous agissons avec un volontarisme qui surprend peut-être, mais qui maintient l’activité à flot.»
Le retour d’un État protecteur est-il au programme ? Paul a toujours considéré que les pouvoirs publics et le secteur privé devaient marcher d’un même pas. Libéral bon teint, notre homme estime néanmoins qu’aujourd’hui nous changeons de paradigme : « Bruno Lemaire lui-même est en train de devenir néo-keynésien, puisqu’il va jusqu’à préconiser, dans certaines circonstances, des nationalisations.» Les déclarations du président du Medef mais aussi celles d’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État à l’Économie, pourraient tempérer cette appréciation.
« Pareilles interventions, prématurées, maladroites, risquent d’attiser les conflits alors que nous devons au contraire nous rassembler, estime Paul. Et j’observe que le Président, bien qu’il ne se soit pas avancé nettement sur les mesures à prendre, a insisté sur le caractère collectif et égalitaire des efforts à fournir. » Dans un tel contexte, ce haut fonctionnaire considère que les réformes prévues pour cette année ne pourront sans doute pas voir le jour. Du moins pas de la même façon, pas suivant la même philosophie. « Qu’il s’agisse des hôpitaux, de l’ Éducation Nationale, de la situation des personnes âgées, voire de la réforme des retraites, nous allons devoir penser l’avenir autrement, déclare encore Paul avec humilité. Cela ne signifie pas que les vannes vont s’ouvrir sans limites. L’État peut se montrer généreux, mais chacun doit assumer ses responsabilités. Les citoyens doivent respecter les consignes de prudence et les entreprises doivent anticiper la sortie du confinement, sinon, tout le monde prendra le bouillon. »
C’est l’homme d’action qui s’exprime. Les Nostradamus ne manquent pas pour nous prédire cataclysmes ou grands soirs. On appréciera donc à sa juste mesure la confiance et le sang froid d’un haut fonctionnaire au travail. En France, qu’on s’en réjouisse ou le déplore, c’est l’État qui a façonné la nation. Les protestants de ce pays ne s’y sont pas trompés, comme l’ont montré notamment les historiens Laurent Theis et Bernard Cottret. La citadelle établie dans le quartier de Bercy, peut encore servir à quelque chose. Et vive l’esprit d’équipe !