Municipales : la France en habit vert

Le politiste et historien Nicolas Roussellier nous propose une analyse du scrutin de dimanche.

Il tient compte à la fois des bouleversements provoqués par le changement climatique, par la pandémie du Covid 19, et par les évolutions profondes qui se dessinent dans la société française depuis trente ans. 

Au soir du 28 juin, sur les plateaux de télévision, les représentants des formations politiques ont tous exprimé leur satisfaction, comme s’ils avaient tous triomphé. Voilà qui confirme l’adage de Philippe Braud, professeur émérite à Sciences-po, selon qui, dans le domaine politique, hélas, « la bonne foi ne paye pas ». Pourtant, les élections municipales 2020, plus qu’en 2008 et 2014, ont fait naître un paysage politique inédit. Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter?

Le politiste et historien Nicolas Roussellier reconnaît le poids de l’abstention comme l’ampleur du vote en faveur des écologistes. Mais il en propose un décryptage moins conventionnel que bien d’autres. « Depuis plus de trente ans, le niveau de participation aux élections municipales a baissé de 3 % à chaque scrutin, souligne-t-il. On a pu ne pas en prendre conscience, mais le phénomène est donc ancien ; cette fois, nous assistons à un affaissement spectaculaire. »

Alors que les maires apparaissaient comme des élus populaires, dont l’action tangible étaient perçue comme positive, le niveau d’abstention rejoint celui des autres scrutins dits intermédiaires. « Hors mis l’élection présidentielle, toutes les élections laissent froids les Français, constate Nicolas Roussellier. En moyenne, cinquante pour cent des inscrits ne votent pas. Dimanche, si l’abstention a grimpé jusqu’à 60%, cela s’explique par les consignes de restriction sanitaire, qui ont sans doute ayant découragé une fraction des électeurs de se déplacer. Mais la banalisation des élections municipales est à l’œuvre. »

On pourrait établir un lien direct entre l’abstention et le succès des écologistes. Cette famille politique, mobilisant mieux ses militants quand les partis traditionnels sont à la peine, a toujours bien figuré dans les scrutins dont la participation était faible. Mais pour Nicolas Roussellier, nous assistons à un vrai changement de paradigme : « Alors qu’autrefois les électeurs votaient pour les écologistes quand ils voulaient envoyer un coup de semonce aux partis de gouvernement, ils considèrent les défenseurs de l’environnement comme des gens crédibles pour assumer le pouvoir exécutif. Que des villes réputées pour leur modération, leur prudence- Bordeaux, Lyon au premier chef, aient élu un candidat écologiste peu connu, voilà qui marque une rupture éclatante. »

L’avènement de ce que l’on nomme parfois une société post-démocratique explique peut-être le succès des Verts. Entre le mouvement des Gilets jaunes et la multiplication des manifestations, nous voyons se glisser une nouvelle forme de construction politique, plus participative. Qu’on les appelle « Conventions », « Réunions publiques » ou « Grands débats », ces rencontres donnent le sentiment d’un renouvellement du champ politique. Les écologistes en sont les partisans depuis longtemps- d’aucuns disent même qu’ils la pratiquent de façon caricaturale. On peut estimer qu’ils sont plus à l’aise avec cette conception du débat publique et qu’ils peuvent, mieux que d’autres, tirer leur épingle du jeu. Notons d’ailleurs que le second tour des élections municipales s’est déroulé quelques jours après qu’a été remis le rapport de la Convention citoyenne pour le climat. Cette conjonction de calendrier a pu aider les Verts.

« Cette esquisse de démocratie directe a du charme parce qu’elle peut donner le sentiment que toute le monde a vraiment la main sur les décisions, reconnaît Nicolas Roussellier. Mais, d’une part, les débats de ce genre sont souvent dominés par des gens cultivés, disposant d’un capital dialectique et donc social qui exclue les classes populaires ; d’autre part ils contournent les institutions traditionnelles et peuvent conduire à remettre en cause la légitimité des élus de la République. Autrement dit, ce type de pratique politique comporte des risque politiques importants. Nous le voyons actuellement: un très grand nombre de maire ont été élu dimanche avec environ 12 % des inscrits. Quelle peut être leur autorité véritable? « 

Le paysage politique est aujourd’hui bouleversé. Jusqu’où ? Bien malin qui peut l’affirmer. L’élection présidentielle est déjà dans toutes les têtes, mais chacun sait que les vainqueurs annoncés deux ans avant sont toujours les vaincus du scrutin.  » Yannick Jadot peut y croire, admet Nicolas Roussellier. Mais il faudra d’abord qu’il surmonte les réticences des Verts à soutenir une personnalité disposant d’une certaine autorité. De surcroît, la concurrence, en 2022, sera d’une autre envergure qu’aux européennes ou aux municipales. »

Et puis le président de la République, même affaibli, reste le maître des horloges. En réalisant un remaniement gouvernement d’ampleur, en donnant le sentiment que la défense de l’environnement devient sa priorité, Emmanuel Macron pourrait doubler ses adversaires, sur sa droite en même temps que sur sa gauche. Il a surtout démontrer une très forte capacité à se mobiliser, discuter pendant des heures avec des citoyens tirés au sort ou presque. Il est donc encore trop tôt pour vendre la peau de l’ours.