Au lendemain de l’intervention présidentielle, Nicolas Roussellier, maître de conférences à Sciences-po, analyse les propos d’Emmanuel Macron.
Pas tout, pas rien. Le président de la République a, pendant trois quarts d’heure, expliqué les nouvelles mesures prises pour lutter contre la résurgence de la pandémie. La force symbolique du couvre-feu obligeait le chef de l’État, dépositaire essentiel des fonctions régaliennes dans notre système politique, à intervenir publiquement.
« La consonance militaire du couvre-feu n’échappe à personne, estime Nicolas Roussellier. le Président ne pouvait se dérober, après avoir choisi cette voie solennelle et frappante. La complexité de sa mise en œuvre le contraignait aussi: au mois de mars, la brutalité du confinement pouvait être acceptée parce que la règle s’appliquait partout et pour tout le monde. Aujourd’hui, plusieurs règles vont coexister sur notre territoire. La méthode du Premier ministre, inspirée par des considérations que l’on dira girondines, a ses qualités. Mais en l’occurrence, elle présentait le risque d’être mal comprise ou perçue comme une forme de « deux poids-deux mesures ». Emmanuel Macron devait donc assumer pleinement le poids de la décision politique.
Au printemps dernier, quand le président a déclaré « nous sommes en guerre contre le virus », il a surpris, choqué parfois. Le caractère militaire du couvre feu renforce une inclination qui peut surprendre. « Nous ne devons pas perdre de vue que, dans le régime de la Cinquième République, le président est un Janus, analyse encore Nicolas Roussellier. Bien sûr, il a une face de politique civile, qui le conduit à prendre des orientations, porter un programme qui s’appliquent à l’ensemble du corps social. Mais il a aussi une dimension militaire. Elle est aujourd’hui au cœur de la lutte contre la pandémie, puisque les décisions les plus importantes sont prises à l’occasion des Conseils de défense, dont la raison d’être, à l’origine, consistent à encadrer les opérations militaires extérieures. Une fois encore, cela souligne la gravité de la situation.»
Nombre de commentateurs, anticipant sur les décisions gouvernementales, affirmaient que de nouvelles contraintes allaient surtout viser les jeunes,dont le comportement supposé s’affranchissait des gestes barrières. Pour des raisons de tactiques autant que par conviction, parce qu’il n’oublie pas le soutien qu’une partie de la jeunesse du pays lui a apporté en 2016 et 2017, Emmanuel Macron a contesté cette interprétation. «Il n’a surtout pas voulu critiquer la jeunesse, ajoute Nicolas Roussellier. Rappelant combien la situation de l’emploi la pénalisait, à quel point la situation des étudiants pouvait être périlleuse, il a reconnu que les restrictions sur les possibilités de fêtes ou de sorties ajoutaient à la charge qui pèse sur leurs épaules. Mais c’est pour mieux faire appel à leur esprit de responsabilité. »
Invité à donner de l’espérance à l’ensemble de nos concitoyens, le président de la République a déclaré que nous redécouvrions les vertus de la nation. «Conscient du caractère dramatique de la situation, le chef de l’État veut donner du sens à sa démarche, explique Nicolas Roussellier. Cela ne l’empêche pas de penser à l’élection présidentielle. La plupart des experts estiment que la pandémie ne prendra pas fin avant le mois de juin 2021. C’est précisément le moment où les états-majors politiques se mettront en ordre de bataille en vue de l’échéance présidentielle. Emmanuel Macron espère se présenter comme le président d’une nation qui aura su être solidaire, c’est-à-dire qui aura maintenu un État protecteur ayant fonctionné à plein régime pour lutter contre la pandémie, qui aura essayé d’en aplanir les conséquences économiques et sociales. »
Ce faisant, je pense qu’il revisite une doctrine élaborée à la fin du XIXeme siècle, qui a rencontré un très grand succès au sein du Parti Radical, dans lequel on trouvait d’ailleurs pas mal de protestants : le solidarisme. Si cette doctrine avait pour vocation de concurrencer le socialisme, elle voulait surtout promouvoir l’obligation de solidarité. Dans notre système social, plus qu’on ne le croit, nous en gardons la trace. Les prélèvements obligatoires, qui pèsent sur les sociétés, sur leurs employés, n’ont d’autres contraintes que d’obliger les citoyens à s’assurer collectivement contre les maladies, les accidents du travail, et de vieillir dans la dignité, voire une certaine douceur. »
Les multiples références à la responsabilité de chacun n’ont pas pu laisser les protestants indifférents. « Puisque nous avons la réputation d’être austères, nous pouvons supposer que faire moins la fête nous sera peut-être plus facile, note avec humour, Nicolas Roussellier. La nécessité de comprendre par soi-même les nécessités qui s’imposent à tous appartient à l’éthique protestante. La philosophie de Paul Ricœur, qui a influencé le président de la République, en porte la trace. Nous sommes dans une société déchristianisée, mais même quand la croyance a décliné, il peut en rester longtemps un substrat culturel très puissant. Quoiqu’ils en disent, les Français gardent probablement à l’esprit des valeurs qui sont liées à la pensée judéo-chrétienne. En comptant sur une responsabilité civique, laquelle vaut pour tout le monde, Emmanuel Macron, d’une certaine façon, met aussi ses pas dans ceux de Blaise Pascal, qui se demandait déjà si un athée pouvait être aussi remarquable qu’un croyant lorsqu’il faut obéir à la morale.» Tout un programme…
A lire:
« La force de gouverner » Nicolas Roussellier, Gallimard, 848 p. 34,50€