De nos jours, quand un crime atroce est perpétré, les indignations volent en escadrilles et les vantardises plus folles circulent. Parmi les politiques, un sinistre jeu conduit les plus médiocres à déclarer que s’ils étaient aux Affaires, cela ne se passerait pas comme ça. Rien n’est triste comme la vanité de la grenouille qui veut se faire bœuf. La délinquance et le crime doivent assurément être punis. Mais c’est l’honneur de la République d’agir avec la constante volonté de respecter ses principes. Une telle ambition suppose une constante attention, car de négligences en complaisances, on peut s’éloigner, sans en avoir l’air, des rives précieuses de la démocratie. Ceux qui tiennent le rôle de vigie ne sont pas toujours populaires, et leur parole est essentielle.
Voici quelques jours Zoltan Zalay nous alerta. C’est un pasteur aux yeux rieurs, qui vous enveloppent de mots, de phrases- on croirait n’en jamais sortir- afin de vous accompagner sur un chemin de vérité. Bien sûr, cette vérité se dérobe, ou s’évapore à la semblance des nuits d’orage. Mais Zoltan Zalay ne se lasse pas, ne se résigne pas. D’un mot, d’une phrase -ou presque- il va la rechercher, la fait revenir dans la maison de sa conversation. Donc, depuis plus de deux ans, ce pasteur accompagne une personne mise en cause par la justice, partageant le souci que les conditions de son incarcération soient conformes au droit des détenus. Chacun, sait le travail accompli par les aumôniers des prisons, remarquable d’écoute et d’acuité- qu’il suffise de citer le nom de Brice Deymié pour que chacun le reconnaisse.
Ici l’intervention se fait plus discrète. Zoltan Zalay n’a pas reçu de mandat particulier ; simplement sollicité par un proche parent de l’accusé, le pasteur se tient tout près, parle un peu, propose un appui. Or, comme en d’autres domaines de notre vie collective, il constate que l’exception pourrait devenir la règle: « Pour assurer le fonctionnement des juridictions en temps de pandémie, le public a été exclu des audiences. On peut comprendre qu’une telle décision ait été prise il y a quelques mois. Mais tout laisse penser que cette pratique, en certaines Cités judiciaires, pourraient perdurer, lors même que des policiers se trouvent autorisés à assister aux audiences. Il y a là quelque chose qui me choque. On essaie d’alerter l’opinion, mais le silence assourdissant des médias sur le sujet ne nous aide pas. » Zoltan Zalay murmure plus qu’il ne parle, mais il insiste. C’est aussi cela qui dit la force d’une démarche.
Et qu’importent les grincheux, perchés sur l’arbre mort de leur indifférence. Un pasteur est aussi là pour alerter. « J’assiste mon prochain, dans l’acception littérale de l’expression, c’est-à-dire que je vais m’asseoir auprès de quelqu’un, souligne Zoltan Zalay ; je ne me mets pas à sa place – une chose impossible- mais à côté ; je partage son inconfort. Et cet inconfort désigne ma place. Quand la foule veut mettre à mort la femme adultère, le Christ ne reste pas debout, mais il se courbe. Une attitude pastorale ne consiste pas à dire ce qui est bien, ce qui est mal, mais à mettre en œuvre une incarnation. »
Par un autre biais, les écrivains décèlent, eux aussi, des vérités qui nous réveillent. Jean-Paul Honoré vient de publier : « Un lieu de Justice » (Arléa, 196 p. 18 €). Le bonhomme a parcouru les couloirs et les salles d’audience du Tribunal de Justice de Paris. Les portraits, les répliques et les comportements, tout est formidable dans son tableau. Quand une juge lui fait observer que son projet n’est pas nouveau, Jean-Paul Honoré ne sait que répondre et puis, dans l’escalator qui l’entraîne vers la sortie, trouve la bonne répartie : « Madame la Juge, si, en littérature on ne voulait faire que ce qui ne l’a jamais été, on n’écrirait plus grand-chose. » Un retard qui sonne comme un remords et dit beaucoup de l’humaniste qui nous parle. Installé parmi les robes- rouge ou noire, faites vos jeux- les policiers, les accusés, les témoins, les quidams et les journalistes, Jean-Paul Honoré regarde fonctionner la justice des Hommes. Est-elle imparfaite ? La réponse évidemment se trouve dans la question. Mais cet homme de Lettres a plus d’un tour dans son sac, des idées nettes sur ses propres failles et celles de ses voisins. Lucide, il n’assène pas des certitudes à coups de marteaux piqueurs. Il prend des notes et rédige des sentences légères, claires comme le jour. Il faut beaucoup travailler pour atteindre à cette limpidité. Mais le labeur en vaut la chandelle, qui nous permet de mieux comprendre l’ordinaire des jours de la justice française.
A l’heure où le débat public engendre l’esprit de clan, lequel encourage des solidarités tactiques plutôt que des échanges d’idées, ces deux messieurs nous empêchent de dormir. Et c’est en cela qu’ils ont le sens de la justice.