Au lendemain de l’intervention présidentielle, alors qu’un nouveau confinement s’impose pour quatre semaines, la parole politique paraît fragile.
Au lendemain d’Emmanuel Macron, les réactions ressemblent à toutes les réactions formulées depuis que le monde est monde. Elles n’en sont pas moins tristes, et révèlent à quel point nos concitoyens sont désabusés. « Les formes de la parole publique se sont dotées d’armes techniques sophistiquées ouvrant des espaces de résonance illimitées, remarque Patrice Soler dans la passionnante anthologie qu’il consacre à Cicéron, Quintilien, Saint-Augustin, sous le beau titre L’invention de l’orateur (Gallimard, collection Tel, 492 p. 18 €). Autant d’orateurs toujours plus nombreux, autoproclamés souvent, à s’arroger une place sur le Forum démultiplié pour se faire entendre dans une permanente surenchère. »
On entend les partisans du Président, mais rares sont ceux qui les écoutent : à quoi bon prêter l’oreille aux flagorneurs ? Ils ne font pas défaut, prouvent leur solidarité, mais ils manquent de puissance et swinguent leur dilettantisme. Christophe Castaner est leur emblème. D’autre part, atomisées, les personnalités de l’opposition- l’expression n’est-elle pas trop flatteuse ? -formulent des propositions contradictoires, à l’intérieur même d’une phrase, au point qu’on les croit lectrices d’Harold Searles, psychanalyste, auteur du fameux L’effort pour rendre l’autre fou (Gallimard, 448 p. 28, 40 €).
Faut-il en déduire que rien de neuf n’apparaît à l’horizon ? Pas tout à fait. « Jupiter » a parlé à la première personne, ce qui ne nous étonne guère. Mais qu’il l’ait conjuguée au pluriel, voilà qui est singulier. « Nous » par-ci, « nous » par-là, c’en était à se demander qui commandait. Peut-être Emmanuel Macron souhaitait-il ainsi s’abriter : quelques jours avant son intervention télévisuelle, une sociologue avait déclaré dans un grand journal du soir (et du matin, de l’après-midi, de la nuit) qu’il devrait rendre des comptes. Cela sentait son 10 août et le Président craignait peut-être que la contestation du confinement ne tourne au vinaigre pour lui. « La force des choses, pour reprendre une formule employée autant par Saint-Just, Robespierre que Mallet du Pan- bien avant Chateaubriand- a conduit les conventionnelles là où ils ne s’attendaient pas à aller », souligne Jean-Clément Martin dans son nouvel ouvrage, L’exécution du roi (Perrin, 412 p. 21€). Voilà de quoi rendre prudent…
Le Président s’est donc avancé comme un chef d’équipe. Nul ne pourra le traiter de dictateur, puisqu’il choisit depuis le mois de janvier la voie médiane du pas tout-pas rien. Le terme de « confinement » ne fut d’ailleurs pas employé, manière habile de ne pas se déjuger, de paraître garder la main sur le cours des choses. Était -ce de la dialectique ou de la ruse ?
Patrice Soler, encore lui, note ceci : « La rhétorique, ce sont des règles, des codes, des formes, et rien ne paraît faire davantage obstacle à l’injonction de transparence. Nous sommes dans une crise de confiance à l’égard de la Parole en général. » Et ce grand latiniste de constater la disparition du savoir au profit d’une spécialisation des méthodes de communication. Citant Ricœur, il déplore que la parole politique ait rompu le lien qu’elle entretenait avec la philosophie, ce qui lui donne l’aspect de la futilité. Peut-être y –a-t-il une piste à suivre ici. L’avez-vous noté ? Les journalistes, présents sur les plateaux de télévision ou faisant le pied de grue devant l’Élysée ont égrené dix minutes avant l’allocution présidentielle quelles décisions allaient être annoncées par Emmanuel Macron. Ce n’était pas qu’empressement, course à l’audience. On pouvait y déceler l’invalidation de la Parole. Nos confrères paraissaient déclarer : « qu’importe qu’Emmanuel Macron parle , puisque nous sommes en mesure de vous dévoiler ce qu’il va dire. » Étonnez-vous après cela que les réactions politiques soient rédigées à l’avance et qu’elles manquent de profondeur !
A part quoi les poissons d’avril ont disparu. Triste fin pour l’humour bon enfant. Même les boutades ont du plomb dans l’aile. A juste titre parfois, mais pas toujours. Qu’il soit permis de rappeler cette plaisanterie que l’on racontait aux alentours de 1995. « Très malade, François Mitterrand demande à ses proches à quel endroit il pourrait bien se faire enterrer. Jean-Louis Bianco propose le Panthéon, Jack Lang la pyramide du Louvre. Jacques Attali, dans un silence respectueux, déclare qu’il ne voit que le Saint-Sépulcre. Aussitôt Jean-Louis Bianco fait observer que cela sera très difficile et surtout très cher. Alors, impérial, Mitterrand déclare : « bah… Pour trois jours… » Joyeuses Pâques à tous !