Face aux tensions qui s’expriment dans le monde, au confinement, pourquoi ne pas se laisser aller, durant le week-end, à la rêverie ?
Les États-Unis se déchirent et l’Europe, à genoux sous le faix d’un virus, a replié les ailes de son désir. Il est encore temps de ne pas se résigner, de cultiver le jardin de nos songes avec des œuvres d’art dont les couleurs, à la semblance de la fraternité, se révèlent toujours un peu complémentaires.
Prenez Giraudoux. Bien sûr, on peut relire « La guerre de Troie n’aura pas lieu »- pour jouer à se faire peur, il n’y a pas mieux. On trouve pourtant bien du plaisir à certaines études aujourd’hui négligées. « Les cinq tentations de La Fontaine » par exemple : « Il se tue et se massacre plus d’êtres dans La Fontaine que dans la tragédie toute entière ; tout y meurt : fils de roi, dormeurs, étendus dans les jardins, agneaux buvant, et ils ne meurent pas toujours comme on meurt dans les tragédies, par une main hostile : ils sont tués par la bêtise du sort. » Ou bien les « Notes et maximes sur le sport » ? « J’aime couper de sprints ma marche vers la mort »; « Dernier virage : le coureur entre dans la fatalité »; « L’aviation est un truc. Le seul vol que l’homme ait réussi, jusqu’à ce jour, c’est le saut»; « Le sport, d’Albi à Montpellier, a donné enfin une suite aux luttes des catholiques et des protestants ».
« Billevesées » diront les esprits rigoureux, Jean-Gi -comme on le surnommait jadis- ayant sombré corps et bien dans le mauvais souvenir des années trente.
Alors, aux amateurs d’alcool fort on recommande Octave Mirbeau (1848-1917). En voilà un qui n’avait pas sa langue dans sa poche. Dreyfusard à la plume aiguisée, cet écrivain pourfendait la bourgeoisie, féroce à plaisir. La collection Bouquins publie cet automne « Le Jardin des supplices et autres romans », (1440 p. 32 €). Jugez un peu : « Outre qu’ils ont poussé l’infamie jusqu’à déformer la grâce émouvante et si jolie des fleurs simples, nos jardiniers ont osé cette plaisanterie dégradante de donner à la fragilité des roses, au rayonnement stellaire des clématites, à la gloire firmamentale des delphiniums, au mystère héraldique des iris, à la pudeur des violettes, des noms de vieux généraux et des politiciens déshonorés. » Voilà qui ne frappe pas à côté.
Cependant, l’aphorisme de Michel Serres conserve une part de vérité : « seul le doux dur, le dur ne dure pas. » Voilà pourquoi Krzysztof Pomian donne à vivre autant qu’a réfléchir. En publiant « Le musée, une histoire mondiale , tome I : du Trésor au Musée » (Bibliothèque illustrée des histoires, Gallimard, 687 p. 35 €), cet humaniste à accent de la Vistule ouvre le livre d’une belle aventure.
« Partout existait le trésor, notamment dans les monarchies sacrales où les objets se trouvaient divinisés, rappelle cet historien bien connu. C’est la Rome antique et la Chine ancienne, de façon parallèle et sans qu’on puisse déceler une quelconque influence mutuelle entre ces deux régions du monde, qui ont fait naître les collections particulières. Au Moyen-âge, en Italie seule, sont nés les musées. Par la suite, suivant des rythmes différents, ces institutions se sont déployées partout. »
Rien n’est banal aujourd’hui comme d’aller au musée, Krzysztof Pomian décrypte les subtilités par lesquelles sont passées les générations successives, les États, pour assembler des œuvres d’art ou des objets précieux dans de vastes ou modestes bâtisses. « Les musées véhiculent une représentation du monde, mais aussi des mystères, estime l’historien. Ils ont aussi une fonction politique, participant à la légitimation d’un régime, participent au rayonnement d’un pays. »
Bien que la Réforme dénie aux objets toute sacralité, les pays protestants n’ont pas manqué d’imaginer leurs propres musées. « Au XVIIème et XVIIIème siècle, les premiers musées de l’espace européen de culture protestante présentaient des peintures de genre – paysages ou natures mortes, mais rejetaient les sujets mythologico-historiques et, davantage encore les thèmes chrétiens, souligne Krzysztof Pomian. Quand elle fut incorporée à la France révolutionnaire et napoléonienne, la ville de Genève a demandé des tableaux, précisant qu’elle ne voulait surtout pas recevoir des tableaux religieux. Paris a fait tout le contraire et les genevois ont choisi de les entreposer dans un coin, mais de ne pas les exposer. Depuis, les musées des pays protestants ont, si j’ose dire, perdu leur virginité. »
Puisse l’esprit d’escalier, le goût de la digression, nous faire oublier quelques instants les contingences de l’époque. Et puisqu’il n’est rien qui vaille sans les petites notes qui s’aiment entre elles, abandonnons notre esprit sur une longue plage de guitare.