A l’occasion de la parution d’un dictionnaire encyclopédique appelé « L’identité », le généticien Jonathan Weitzman apporte un éclairage sur la façon dont cette question traverse dans les débats scientifiques.
Le siècle dernier, dans le domaine de la science, avait la religion de la synthèse et de la simplicité. Cet élan n’était pas motivé par la volonté de réduire à des schémas toute pensée, mais par le désir d’exprimer la vérité de façon claire. Ainsi l’astronomie, la physique ou les mathématiques- et tant d’autres disciplines- étaient-elles considérées comme des sciences exactes.
«Illusions perdues » murmurerait en s’amusant notre cher Honoré. Désormais, tout est trouble, incertain, mal affirmé. Croyez-vous qu’il faille s’en plaindre ? Évidemment non : c’est une richesse accordée car il n’est rien de définitif que la mort – et encore… La remise en cause des anciennes lois frappe tout particulièrement l’analyse des êtres vivants. Là où l’on voyait de l’immuable, de l’ordre, tout un peuple s’agite sous les microscopes. Un territoire aux contours constamment redessinés, variables, interchangeables, se donne à observer. La biologie se joue de nos identités.
« On a longtemps pensé que les cellules se divisaient en deux catégories, nous rappelle Jonathan Weitzman, professeur de génétique et membre de l’Institut Universitaire de France. Les unes, appelées « souches », étaient capables d’adopter des fonctions différentes, quand d’autres, dites spécialisées (ou différenciées), ne pouvaient pas changer d’identité. Voici dix ans, une équipe de chercheurs japonais a démontré que toutes les cellules pouvaient prendre des identités réversibles. Une telle découverte a bouleversé notre compréhension du monde. »
On entend déjà les polémistes hurler au relativisme ! « Et voilà, crieraient-ils sans doute en nous lisant, les savants versent à leur tour dans la folie de notre époque où tout s’équivaut, tout est dans tout, donc rien ne vaut rien ! » La tentation, soyons justes, nous vient de penser qu’en effet les scientifiques accompagnent leur temps, qu’ils trouvent des informations confortant les attentes – on n’ose dire les espoirs- de leurs contemporains. «Les découvertes scientifiques ne surgissent jamais par hasard, admet Jonathan Weitzman. Il est évident que les mentalités, les structures sociales ou politiques influencent les chercheurs. Mais n’allons pas imaginer que les savants plaquent leurs fantasmes sur une réalité. Les technologies jouent leur rôle, qui rendent parfois caduques les certitudes d’hier. C’est un fait difficilement contestable. »
On estime aujourd’hui que les systèmes biologiques, plus dynamiques, plus inventifs que prévu, reposent en grande partie sur l’interaction. Leur structure évolue constamment. «Non seulement tout organisme est appelé à évoluer au contact de son environnement, mais il est intérieurement traversé de mouvements contraires qui le modifient, remarque Jonathan Weitzman. Tout être vivant contient non seulement des milliards de cellules, mais encore des milliards de bactéries ou de microbes, aussi essentiels à la vie humaine que les cellules. » On ne s’imagine pas tous les jours en champ de bataille et l’on préfère ne pas voir ça. Justement, cela tombe bien, ces révélations scientifiques échappent à notre regard. « Il nous est impossible de voir ce dont nous parlons, souligne Jonathan Weitzman. Il est envisageable d’égrener les particularités du génome humain, de déployer le séquençage de l’ADN, mais nous ne savons pas du tout à quoi cela ressemble. D’ailleurs la miniaturisation s’impose partout, puisque les machines permettant de séquencer un ADN ressemblent peu ou prou à un ordinateur portable. Mais encore une fois, si les techniques offrent des possibilités de plus en plus spectaculaires, elles ne nous permettent pas de voir ce dont nous parlons. »
Au fil des recherches, non seulement les frontières du savoir s’éloignent, mais les identités se rejouent, se redéfinissent. Qui sommes-nous pour de vrai? Des cobayes au service de microbes et de cellules ? Des organismes en mouvement perpétuel ? Voilà qui ne va pas calmer les angoisses de nos concitoyens. « Tout cela donne le vertige, concède Jonathan Weitzman. Il faut en prendre son parti. »
Le regard protestant s’interroge sur la place de Dieu dans un tel dispositif. En souriant, notre interlocuteur évoque la Genèse : « Au jardin d’Éden, Dieu donne à Adam la responsabilité de protéger, de prendre soin de ce qui est vivant. Si nous pouvons découvrir et analyser le génome, c’est parce que Dieu nous le permet. A nous d’être conscients de notre responsabilité par rapport à Lui. A nous encore de reconnaître que l’identité biologique ne peut se réduire à quelques affirmations schématiques. »
Intimement, la question du génome entraîne du côté des manipulations scientifiques. A ceux qui craignent ces dérives, les analyses de Jonathan Weitzman apporteront un apaisement. L’identité n’obéit pas, même dans le cadre de la génétique, aux classifications rigides, aux injonctions dangereuses. Libre, elle court encore…
A lire:
« L’identité », sous la direction de Jean Gayon, Folio inédit, 848 p. 12,90 €