En ces temps troublés par la pandémie, le climat politique pourrait favoriser la demande d’un pouvoir autoritaire.
L’élection présidentielle s’annonce. Les sondages d’opinion pleuvent déjà comme à Gravelotte et, bien que chacun sache qu’ils n’ont aucune valeur prédictive, leurs experts courent les plateaux de télévision, les débats de la toile, afin d’expliquer les mouvements qui se dessinent. Tartuffe a de beaux jours devant lui.
Mais à bas bruit, puissante, une certaine tendance est à l’œuvre dans notre pays. C’est elle que, depuis des mois, ne cesse de surveiller Pierre Larrouy. Cet économiste éclectique, ce politiste ouvert à la psychanalyse, à la linguistique, auteur du livre «Uberisation, entre utopie et tyrannie» (UPPR éditions, 4,49 €) estime que nos concitoyens sont en demande d’un pouvoir fort.
« Les Français sont tétanisés par la pandémie, par ses conséquences économiques et sociales, et cela provoque en eux ce qu’il faut bien appeler une crise psychologique, observe-t-il. Si l’on écoute simplement les gens du métier, je veux dire les psychanalystes, les psychiatres, ou ceux qui s’occupent de développement personnel, on se rend compte que la consommation d’anxiolytiques a bondi depuis quatre mois, que les phénomènes de décompensation, de troubles graves ont plus que doublé, qu’ils touchent une population beaucoup plus large et plus jeune que de coutume. »
Dans ce contexte, nul ne sait comment les Français vont se comporter. Vont-ils verser dans la dépression individuelle ou collective ? Se révolter ? Personne ne détient la clé du mystère. Mais dans tous les cas de figure, on peut penser qu’une demande d’autorité va s’exprimer de plus en plus nettement. «Nos responsables politiques actuels ne sont pas en mesure de répondre à cette attente, regrette Pierre Larrouy. Bien sûr, ils parlent, utilisent une sémantique dont la cohérence peut séduire quelques minutes, mais en réalité ils sont déconsidérés. Leurs projets sont épuisés, en permanence et en temps réel par des scénarios, plus vrais que nature, apparemment plus riches, écrits par les chaînes d’information continue, par les réseaux dit sociaux. Dès lors, les responsables politiques apparaissent toujours à la traîne, obligés de s’aligner dans une course dont les règles sont édictées par d’autres, sans jamais pouvoir les rattraper.»
Le fonctionnement du champ médiatique tient une part importante dans la dégradation de notre vie publique. Nombre de journalistes ne cherchent pas à éclairer nos citoyens sur la situation, mais prétendent en dévoiler les vices cachés. Quoi qu’ils s’en défendent, ils nourrissent ainsi le complotisme et la paranoïa: le discours politique n’est plus écouté pour ce qu’il dit, mais pour ce qu’il cache; il est désarticulé puis dénoncé comme un langage qui ne porterait en lui que du mensonge.
De là aussi naît la demande de sécurité. «Chacun constate qu’elle se double d’un appel à l’unité nationale, note Pierre Larrouy. Pour peu qu’on y rajoute un zeste d’identité, il est évident que l’avancée, sur la scène politique, d’un général républicain peut séduire. Cela explique le succès rencontré par Pierre de Villiers. Ses dernières déclarations confirment qu’il songe sérieusement à une candidature en 2022. Si tel était le cas, cela changerait complètement les perspectives de l’élection présidentielle.»
En cette année de Gaulle – on célèbre le cent-trentième anniversaire de sa naissance et le cinquantième anniversaire de son décès- faut-il croire à la résurgence de l’Homme providentiel ? On notera d’abord que l’homme du 18 juin, précisément depuis le jour de l’Appel, se considérait comme un politique et non pas comme un militaire. On peut prédire surtout que cette aspiration rencontrera de fortes résistances chez nos concitoyens. Surtout chez les protestants.
André Encrevé, historien spécialiste du protestantisme, lui-même issu d’une illustre lignée de calvinistes, publie « Les protestants et la vie politique Française de la Révolution à nos jours » (CNRS éditions 600 p. 29 €). L’épopée qu’il retrace, bien connue de nos lecteurs, montre à quel point les descendants de la Réforme goûtent peu la concentration des pouvoirs. « Par nature ou presque, ils sont libéraux, rappelle André Encrevé. De manière épidermique, ils rejettent toute forme de pensée monolithique et ce n’est pas toujours en plaisantant que l’on affirme: « trois protestants, quatre opinions ». L’unanimisme protestant ne peut pas exister. »
Longtemps plus à gauche que la moyenne des Français, les protestants n’étaient pas des révolutionnaires par essence. Ils défendaient avant tout les principes de 1789, contre une droite imprégnée de nostalgie monarchiste. « Exclus de la Communauté par la Révocation de l’Édit de Nantes, les protestants furent parmi les plus fervents partisans de la pensée des Lumières, souligne Pierre Encrevé. Il y a plus : le sacerdoce universel et son corolaire, une organisation collégiale des Églises (le pouvoir venant d’en bas, le Conseil presbytéral élisant le pasteur de chaque paroisse) confère au protestantisme une inclination pour le débat, la confrontation libre des points de vue.»
Bien entendu, Pierre Encrevé sait que le cours des événements suit parfois des mouvements sinueux. Son jeune confrère, Nicolas Le Roux, explore les arcanes du seizième siècle avec un talent consommé. Dans son nouveau livre, « Portraits d’un royaume » (Passés/composés, 389 p. 23 €) cet historien remarquable nous rappelle que les protestants Français furent, en certaines circonstances, ambivalents : « d’une part, Calvin leur avait vivement recommandé de ne pas se révolter, d’autre part, ils avaient défendu la monarchie lorsque l’un des leurs s’était trouvé en position d’hériter de la Couronne. Philippe Du Plessis-Mornay, qui était la « plume » d’Henri de Navarre, engagé pendant des années contre la tyrannie durant les années 1570, était devenu le partisan le plus farouche des lois fondamentales du royaume une décennie plus tard. »
On objectera que tout cela remonte à près de cinq siècles et que la Révocation fit profondément basculer du côté de la liberté les partisans de la Réforme. On aura mille fois raison. Mais le sociologue Jean-Paul Willaime, directeur d’ Études émérite à l’École Pratique des Hautes Études, a démontré que les protestants Français votent aujourd’hui comme la plupart de leurs concitoyens, qu’une certaine spécificité politique, au fil des élections, s’est amenuisée. André Encrevé n’en disconvient pas, qui reconnaît que nul aujourd’hui ne remet en question les principes hérités de 1789.
Mais qu’en serait-il si, demain, le vent tournait à l’aigre ? On se gardera bien de prédire le pire. « Après tout, le général de Villiers n’a jamais tenu que des propos républicains qui s’inscrivent dans le cadre démocratique, analyse Pierre Larrouy. Disons qu’il pose des questions justes, auquel il apporte ses propres solutions, lesquelles peuvent et doivent être discutées. Qu’il soit ou non candidat en 2022, cet homme d’autorité, qui ne porte pas grande estime au président Macron, va contraindre le chef de l’État et ceux qui voudront se lancer dans la campagne présidentielle à lui répondre. Les responsables politiques ne pourront pas enjamber la question de la fierté nationale pour se projeter dans l’avenir.»
Une bible et un journal dans chaque main, les protestants resteront vigilants. Puiser dans l’Histoire pour inventer notre futur, très bien. S’en remettre au sabre pour cela… Gardons l’espérance au cœur. Et le sourire à l’esprit !