La culture et la défense de la justice sociale s’invitent aujourd’hui dans notre actualité.
Les protestants le savent, la musique n’est pas un luxe, une cerise ajoutée. Comme la littérature et la peinture, elle aide à vivre ; elle apporte parfois de simples petits bonheurs, mais elle ouvre, quand elle est portée par les plus nobles ambitions, les chemins de la transcendance.
En la cathédrale de Laon, samedi prochain, Laurence Equilbey dirigera l’ensemble qu’elle a fondé voici huit ans déjà, l’ Insula Orchestra. La soprano française Vannina Santoni tiendra la partie de soliste. Une invite à la beauté ? Bien sûr. Un message de confiance aussi. Le festival inventé par Jean-Michel Verneiges est maintenu, contre Covid et mauvaises marées. C’est une joie de penser que, le 26 septembre, le grand public pourra se recueillir au son de Mozart, Beethoven et Mendelssohn, un programme de belle tenue.
« Tous les artistes ont souffert du confinement, nous a déclaré Laurence Equilbey. Nous ne savons de quoi demain sera fait, les menaces existent encore, qui pèsent lourd sur le devenir de nos prochains spectacles. Mais nous espérons que la reprise, initiée notamment par le festival de Laon, va se confirmer. » Diriger la musique dans une cathédrale n’est pas une aventure aisée. « La réverbération du son nous impose de choisir un tempo plus lent, souligne la chef d’orchestre, faute de quoi les sons se mélangent, provoquent une confusion dramatique. C’est la raison pour laquelle les œuvres symphoniques volubiles ne peuvent, en ces lieux, trouver à s’épanouir. »
Quelles que soient les convictions, l’inspiration de chacun, difficile de ne pas reconnaître que la musique est éclairée d’esprit. La dimension spirituelle de cette forme d’art ne s’exprime pas seulement dans le répertoire sacré. « Pour Bach et Mozart, les intervalles harmoniques étaient chargés de symboles, nous rappelle Laurence Equilbey. Néanmoins, bien qu’ils vivent dans des sociétés sécularisés, les compositeurs contemporains sont aussi portés par le caractère incantatoire de la musique, avec tout ce que cela entraîne sur un plan spirituel. »
On aime entendre Laurence Equilbey décrire sa méthode: à l’avance, au cours trois ou quatre mois qui précèdent le concert, elle analyse la structure des partitions dont elle va diriger l’exécution. Cette appropriation intellectuelle est aussi corporelle. Une incarnation prend forme, d’une façon presque alchimique. Au fil du temps le dispositif trouve sa place. « Il est important de comprendre les intentions d’un compositeur, les enjeux qui dominent son époque, admet Laurence Equilbey. Je ne cherche pas à reconstituer je ne sais quelle authenticité- cela n’a pas vraiment de sens, tant les années, les mentalités nous séparent des êtres qui vivaient il y a deux cents ans- mais à restituer la vérité d’une intention, à faire naître un rapport de sidération quand les notes couchées sur le papier sont projetées dans l’espace. »
Nous avions le désir d’écouter encore cette artiste magnifique nous décrire par le menu les mille richesses et complexités de son métier. Mais en ce début de semaine, c’est un drame social qui retient notre attention.
Mercredi dernier, la direction japonaise du fabriquant de pneus Bridgestone a décidé la fermeture du site de Béthune. Un accord de méthode a certes été signé, qui ouvre la voie des négociations. Ceci étant posé, 863 emplois sont en passe de disparaître. Élisabeth Borne, ministre du travail, Agnès Pannier-Runacher, ministre de l’Industrie, doivent ce lundi rencontrer les élus de la région, les représentants du personnels, enfin discuter avec la direction de Bridgestone.
S’il est vrai que « L’État ne peut pas tout », suivant la formule de Lionel Jospin, alors premier ministre, lorsque la direction de Michelin avait annoncé, en l’an 2000, des licenciements massifs, il peut quand même encore agir.
L’économiste Jacques Mistral, dans son livre « La science de la richesse » (Gallimard, 477 p. 24,50€), note ceci : « Les dures réalités économiques repoussées ou même niées pendant la campagne en viennent vite à contredire la promesse électorale, matériellement et pire encore symboliquement. L’agent économique se sent trahi par le sujet souverain et de cette double déroute ne peuvent naître que le rejet du marché et le cynisme à l’égard de la démocratie. » Contre ce cercle vicieux, des responsables politiques se battent avec énergie.
Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France a déclaré que l’État doit financer les investissements nécessaires pour éviter la fermeture de l’usine de Béthune. Il a demandé que les aides publiques soient remboursées chaque fois qu’une entreprise décide de délocaliser son activité. » Cette exigence de réciprocité mérite peut-être qu’on s’attarde.
On a raillé le changement de nom de l’alliance du Nord, du Pas-de Calais et de la Picardie en Hauts-de-France. Les belles âmes ironisent quand elles ne manquent de rien. Mais s’il est aujourd’hui l’une des personnalités de droite les plus en vue, c’est parce que Xavier Bertrand s’implique dans la sauvegarde du pacte républicain, tout à la fois sur un plan pratique, par des mesures concrètes en faveur de l’emploi, et sur un plan symbolique. Au cœur de ce dispositif, il n’oublie pas la culture.
Et c’est ce qui nous convainc d’associer, dans un même panorama d’actualité, la crise sociale qui éclate à Béthune et le déroulement du festival de Laon. La musique et l’industrie, pourquoi devrions-nous choisir ? Une femme-et l’orchestre qu’elle dirige- viendra samedi donner à chacun du bonheur alors que des salariés voient leur avenir tourner au drame. Une telle concordance encourage à l’action vigoureuse contre la détresse.